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Richard Wright à la conférence de Bandung (1955)
jeudi 13 janvier 2022, par
Source : http://europe-solidaire.org/spip.php?article60634
Richard Wright à la conférence de Bandung (1955)
dimanche 26 décembre 2021,
par Gustave MASSIAH
Les Editions Syllepse publient un livre important de Richard Wright, Bandung, chronique d’un monde en décolonisation [1].
Nous reproduisons ci-dessous la première partie d’un article de Gustave Massiah au sujet de cette parution, consacré à Richard Wright. La seconde partie traite des suites de la conférence [2]
Richard Wright est un écrivain noir américain qui a vécu de 1908 à 1960. Il a été communiste pendant une partie de sa vie et s’est constamment engagé contre le racisme et pour le panafricanisme. En 1955, il lit un encart dans un journal qui annonce la première rencontre à Bandung des premiers chefs d’Etat des pays indépendants d’Afrique et d’Asie. Il décide de s’y rendre ; il est un témoin direct et un des journalistes qui a suivi et rendu compte de cet événement considérable.
Richard Wright comprend que ce n’est pas seulement une rencontre des Chefs d’Etat indépendants mais aussi le premier sommet des peuples de couleur dans lequel seuls les blancs ne sont pas invités. En se rendant à Bandung, il mène une première enquête en interrogeant des indonésiens au hasard de rencontres. Il se rend compte des étroites relations entre plusieurs facteurs : la décolonisation, le racisme, les appartenances et les couleurs, les religions et les croyances.
La deuxième partie raconte l’arrivée à Bandung et nous livre un très intéressant reportage sur la Conférence. Le journaliste reprend le dessus ; il cite des extraits des interventions des chefs d’Etat participants et témoigne de l’émotion qui y règne. Sukarno, président d’Indonésie et hôte de la Conférence ouvre la séance en déclarant : Ceci est la première conférence internationale des peuples de couleur dans l’histoire de l’Humanité … Pendant de nombreuses générations, nos peuples ont été les sans-voix de ce monde. Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, appelle à la solidarité des peuples africains et asiatiques qui ébranle les frontières qui sépare deux mondes, le monde communiste et le monde non-communiste. Sir John Kotelawala, premier ministre de Ceylan affirme vouloir appliquer au problème du monde actuel les valeurs traditionnelles pour le respect de la vie et pour la dignité de la personne humaine. Gamal Abdel Nasser président de l’Egypte déclare nous sommes face à un enjeu crucial, la survie même de l’humanité… Nous avons subi l’influence étrangère, il n’est pas surprenant que nous nous sentions si proches. On retrouve, citées par Wright, des phrases des représentants du Ghana, d’Irak, des Philippines, d’Ethiopie, de Thailande, du Liban, du Japon. Wright est frappé par l’importance des références à la race et à la religion dans toutes les interventions qui traduisent les réactions au rejet par l’Occident des valeurs des pays qui avaient été conquis.
La troisième partie concerne le communisme à Bandung. De fait, il s’agit d’une analyse très fine du rôle des deux hommes qui ont rendu possible la Conférence : le pandit Nehru et Zhou EnLai. C’est la retenue des communistes qui a été remarquée à Bandung. Zhou EnLai a été présent et très ouvert. L’accord entre l’Inde et la Chine assurait l’unité de l’Asie sans laquelle il n’y aurait pas eu de conférence. La Gold Coast, actuel Ghana, est porteuse du nkrumahisme qui va ouvrir de nouvelles voies au panafricanisme.
La quatrième partie est une réflexion sur la honte raciale. Richard Wright avance que La Conférence exerçait son influence sur des millions de personnes conscientes de leur couleur dans tous les pays de la terre. Ils commençaient à prendre conscience de leur force combinée. Ils y prenaient goût. Ils sentaient à présent leur ennemi blanc loin, très loin d’eux.
La dernière partie s’adresse au monde occidental à partir de Bandung. Richard Wright présente et discute le communiqué final de la Conférence. Il souligne sa modération et ses ouvertures. Il appelle à un avenir dans lequel les deux fondements intellectuels, les rationalismes occidental et oriental n’en feraient plus qu’un. La question posée à Bandung n’était pas celle de la prise du pouvoir ; ceux qui étaient là représentaient des gouvernements qui avaient déjà pris le pouvoir et se demandaient ce qu’il fallait en faire. La question posée à Bandung était Comment la race humaine s’organisera-t-elle ?
Le livre commence par une excellente préface de Amzat Boukari-Yaraba. Il rappelle l’histoire et la personnalité complexe de Richard Wright. Il raconte comment on peut être noir, américain, communiste et écrivain. Richard Wright, dans son exil à Paris, a participé aux actions de Présence Africaine avec Alioune Diop, Aimé Césaire, Leopold Sedar Senghor. Il a échangé avec Sartre, Simone de Beauvoir, Franz Fanon. Il s’inscrit dans la route des décolonisations et il perçoit et comprend l’importance de Bandung et du procès du colonialisme. Amzat Boukari-Yaraba explique ainsi comment la conférence de Bandung rend possible une désoccidentalisation du monde. Richard Wright a publié en 1954 Black Power ; en 1956, il publie son rapport sur la Conférence de Bandung sous le titre de The Color Curtain, le rideau de couleur, qui sera préfacé par Gunnar Myrdal [3]. Il met l’accent sur les communautés de race, de couleur et de religion qui dépassent les clivages idéologiques entre capitalisme et communisme. Race et religion unissent les peuples de couleur contre les peuples occidentaux sans négliger les différenciations entre les peuples de couleur. Amzat Boukari-Yaraba cite aussi Malcom X et son projet d’organiser un Bandung à Harlem. Il précise l’impossibilité pour Wright de rompre avec la pensée occidentale est aussi un indice pour comprendre son orientation anti-communiste, ou non-communiste. Il cite Richard Wright qui s’explique : la couleur n’est pas ma patrie, je suis un être humain avant d’être un Américain ; je suis un être humain avant d’être un Noir et si je traite des problèmes raciaux, c’est parce que ces problèmes ont été créés sans mon consentement, sans ma permission. Je suis opposé à toute définition raciale. Si j’écris sur les problèmes raciaux, c’est précisément pour mettre fin aux définitions raciales.
Gustave Massiah
Notes
[1] Richard Wright, Bandung, Chronique d’un monde en décolonisation, Préface d’Amzat Boukari-Yabara, Paris, 2021, Ed Syllepse
[2] Voir ESSF (article 60633), La conférence de Bandung (1955), un moment historique de la décolonisation.
[3] Richard Wright, Black Power : Three books from exile : Black Power, The Colour Curtain, and White man : Listen ! New York, Harper perennial modern classics, 2008
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