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Canada : #LetUsTalk : des femmes réclament le droit de critiquer le port du voile en Amérique du Nord
jeudi 13 janvier 2022, par
#LetUsTalk : des femmes réclament le droit de critiquer le port du voile en Amérique du Nord
« Islamophobie »
Par Jean-Loup Adenor
Publié le 12/01/2022 à 15:40
Des femmes de culture arabo-musulmane vivant en Amérique du Nord font entendre leur voix à travers une campagne lancée sur les réseaux sociaux. Elles dénoncent la censure qui pèse sur la critique du port du voile en Occident. Une censure largement pratiquée par des milieux qui se revendiquent « libéraux ».
Fin novembre 2021, le médecin Sherif Emil publie une lettre dans le Journal de l’Association médicale canadienne. Il y dénonce le choix d’utiliser, en couverture de la revue, la photo d’une enfant portant le hijab. Pour le Canadien, « le respect ne doit pas altérer le fait que le hijab, le niqab et la burqa sont aussi des instruments d’oppression pour des millions de filles et de femmes dans le monde qui n’ont pas la possibilité de faire un choix ». Devant la levée de boucliers des associations islamiques du pays, qui s’indignent de « l’islamophobie » de cette prise de position, la revue médicale décide rapidement de retirer la publication de son site Internet et présente des excuses.
C’est cette décision, « incompréhensible » et « choquante », qui a poussé deux militantes, Masih Alinejad et Yasmine Mohammed, l’une états-unienne et l’autre canadienne et toutes deux de culture arabo-musulmane, à partager leur histoire et leur rapport au voile. Un hashtag : « #LetUsTalk » ( soit « Laissez-nous parler ») sur les réseaux sociaux. Et un objectif : appeler les femmes arabo-musulmanes à faire part de leur vécu et rappeler que le voilement demeure un outil d’oppression.
Masih Alinejad a grandi dans l’Iran des mollahs et Yasmine Mohammed dans une famille fondamentaliste immigrée au Canada. Interrogée par Marianne, cette dernière, militante des droits humains et auteure de Unveiled : How Western Liberals Empower Radical Islam , considère que la société canadienne et les médias, principalement la gauche libérale nord-américaine, ne « comprennent pas que le voile n’ est pas un vêtement culturel ». Mohamed Yasmine Verser, « les défenseurs du multiculturalisme croient judicieux de défendre le voile parce qu’ils ne voient pas que ce n’est pas l’affirmation d’un style ou d’une culture mais une idéologie religieuse ; une idéologie misogyne pour laquelle, dans certains pays, les femmes sont tuées ».
Ne pas interférer avec le mode de vie
Si la jeune femme, figure des ex-musulmans canadiens, prend la parole sur ce sujet, c’est qu’elle a connu le fondamentalisme islamique après le remariage de sa mère. Alors que Yasmine Mohammed n’a que neuf ans, sa mère se met à pratiquer un islam très rigoureux sous l’impulsion de son nouveau compagnon. L’enfant est tenue d’apprendre le Coran par cœur et de porter le hijab.
« Nous vivions de façon « séparatiste », nous n’étions pas du tout intégrés »
« Le nouvel époux de ma mère avait déjà une femme, nous étions la deuxième famille. Nous vivions dans la bulle de la charia, pas comme des Canadiens. En France, vous diriez que nous vivions de façon « séparatiste », c’est-à-dire que nous n’étions pas du tout intégrés », témoigne-t-elle auprès de Marianne. Après avoir subi des violences, elle parvient à prévenir la police grâce à l’un de ses professeurs. Le juge canadien devant lequel l’affaire est arrivée a estimé qu’il n’avait pas à interférer avec le mode de vie d’une famille arabe.
Le voile comme « clef » d’endoctrinement
« Plus tard, j’ai subi un mariage forcé avec un homme dont j’ai appris qu’il appartenait à Al-Qaida. J’étais vêtue de noir de la tête aux pieds. » Yasmine accouche d’une petite fille. « C’est pour elle que je suis partie. J’ai décidé de suivre des études de religion à l’Université. C’est là que j’ai pu déconstruire l’endoctrinement islamiste », explique-t-elle aujourd’hui. Un événement majeur survient au même moment : le 11 septembre 2001.
« Pour toutes ces raisons, je considère que c’est très important aujourd’hui de pouvoir parler du voilement des femmes. C’est en décidant de ce que les femmes mettent sur leur tête que le patriarcat islamiste décide de ce qu’elles peuvent ou non avoir dans la tête. » Pour la militante, le retrait du voile est la « clef », le premier pas vers la sortie de l’endoctrinement. « En tout cas, c’est ce qui ressort de mes conversations avec les femmes, très nombreuses, avec qui j’échange tous les jours. » L’accusation « d’islamophobie » adressée au Dr Sherif Emil et les excuses du Journal de l’Association médicale canadienne ? « C’est tout simplement restaurer le délit de blasphème. Contrairement aux pays musulmans, cette censure ne vient pas du haut, de l’État, mais de la base, de la société », déplore-t-elle.
La trahison du féminisme
Yasmine Mohammed tient à rappeler à Marianne l’objet initial du voilement : « Séparer les femmes libres des prostituées. C’est tout l’objectif, séparer les femmes pures, les bonnes musulmanes, des femmes impures. Il y a un mot dans le lexique féministe pour ça : ça s’appelle du « slut shaming » (fait d’insulter ou de harceler une femme en raison de sa liberté sexuelle). » Difficile, dès lors, d’accepter qu’en Occident, une partie de la galaxie féministe ait fait, au nom de l’intersectionnalité, de la défense de la liberté de se voiler l’une de ses grandes causes – une « trahison complète de la sororité et du féminisme » pour Yasmine Mohammed.
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En France, l’exemple le plus récent et le plus manifeste de cette « trahison » est la prise de position de l’ex-candidat écologiste Sandrine Rousseau sur le voile. Alors que Fatiha Boudhjalat, elle-même musulmane non voilée, critiquait début novembre la campagne financée par le Conseil de l’Europe déclarant que « la liberté est dans le hijab », Sandrine Rousseau y a vu pour sa part un « beau message » et se disait « désespérée que le corps des femmes et la manière dont elles habillent leur corps soient encore un sujet ».
#Laisse-nous parler
Une réaction à laquelle Masih Alinejad, militante qui s’est engagée contre l’obligation du hijab dans les pays arabes, a été souvent confrontée aux États-Unis. « Quand je suis arrivée aux États-Unis, on m’a dit que si je partageais mon histoire, je risquais de nourrir l’islamophobie », regrette-t-elle auprès de Marianne. D’origine iranienne, elle vit aujourd’hui outre-Atlantique où elle a été naturalisée. Masih Alinejad témoigne de la difficulté qu’elle rencontre à mobiliser les personnalités politiques américaines, et particulièrement les femmes, sur ce sujet. « Les élues ne veulent pas prendre position. Un exemple frappant : en Occident, vous avez le « World Hijab day », qui consiste à promouvoir la liberté des femmes de porter le hijab. Mais une l’initiative inverse pourrait-elle être envisagée ? » Masih Alinejab a contacté les militants à l’origine de cette journée, leur proposant de se joindre à sa campagne contre le voilement forcé : « ils m’ont tout simplement bloquée », complète-t-elle.
Des avertissements qu’on lui a également adressés lorsqu’elle a été invitée au Parlement européen, pour défendre la liberté des femmes à porter le burkini. « J’ai dit qu’il était incohérent de défendre cette liberté sans défendre également la liberté des femmes à ne pas porter le voile. En Europe également, on m’a répondu que c’était un sujet sensible. » C’est cette « normalisation » du hijab dans les sociétés occidentales qui inquiètent particulièrement la militante. Et le manque de soutien des mouvements féministes occidentaux, qu’elle espère encore voir se « joindre à nous. Elles doivent nous laisser parler et écouter ce qu’on a à dire. » Et parvenir à débattre de la question sans s’arrêter à la seule notion de liberté individuelle.
« Vous n’êtes pas vraiment libre : vous pouvez porter le hijab et être une bonne fille, ou ne pas le porter et risquer l’enfer , balaie Yasmine Mohammed. Mais la liberté individuelle, c’est de pouvoir le porter ou non. » Selon elle, les notions de liberté individuelle et d’islamophobie servent une stratégie précise : celle des courants fondamentalistes islamiques. « Les djihadistes tuent des gens. Les islamistes, eux, inventent l’islamophobie. L’objectif est le même : interdire la critique de leur idéologie. »
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Par Jean-Loup Adenor