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Collectif 50/50 : « Allons-nous vers une révision drastique du logiciel #MeToo/intersectionnalité ? »
samedi 14 mai 2022, par
Collectif 50/50 : « Allons-nous vers une révision drastique du logiciel #MeToo/intersectionnalité ? »
Le Collectif 50/50, né dans le contexte #MeToo afin de promouvoir l’égalité et la diversité sexuelle et de genre dans le cinéma et l’audiovisuel, est au cœur d’une affaire d’agression sexuelle.
Photo : Hans Lucas via AFP
Par Sabine Prokhoris
Publié le 11/05/2022 à 17:30
Le Collectif 50/50, né dans le contexte #MeToo afin de promouvoir l’égalité et la diversité sexuelle et de genre dans le cinéma et l’audiovisuel, est au cœur
d’une affaire d’agression sexuelle. Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste, analyse les tenants et aboutissants de cette affaire.
À la fin du mois de mars 2022, une affaire d’agression sexuelle éclatait au sein du Collectif 50/50, un des cœurs du réacteur #MeToo lancé à plein régime à la suite de la déflagration Adèle Haenel. Personne n’a oublié que l’actrice, devenue depuis la figure de proue du #MeToo français, avait accusé sur le plateau de Mediapart le réalisateur Christophe Ruggia de s’être livré sur elle à divers attouchements lorsqu’elle était adolescente, pendant et après le tournage de son film Les Diables, dans lequel elle avait joué quinze ans auparavant. Choix délibéré que ce spectacle d’accusation/exécution publique : « La justice nous ignore, on ignore la justice. » Adèle Haenel avait ensuite condescendu à déposer plainte, le Parquet s’étant saisi de l’affaire.
À LIRE AUSSI : Sabine Prokhoris : « Quand le #MeTooféminisme dissout le réel »
La particularité de l’épisode qui secoue deux ans et demi plus tard le collectif, fer de lance de la « lutte contre les violences sexistes et sexuelles », c’est que
cette fois l’affaire oppose deux femmes. Une « victime », que le dogme #MeToo ordonne de « croire » parce qu’elle accuse. Il s’agit d’une comédienne. Et un prédateur – en l’occurrence une prédatrice présumée, en la personne d’une
productrice, qui plus est administratrice du Collectif. Que nous apprend la presse ?
LA VICTIME ET LA COUPABLE
Dans un premier temps, ceci : au cours d’une soirée privée, une productrice assez éméchée aurait passé la main dans les cheveux d’une comédienne, sans
son consentement. Puis – devant une trentaine de personnes dont aucune n’a rien vu –, lui aurait glissé la main sous la jupe et « touché le sexe ». Sur quoi la comédienne « en état de sidération » et qui, depuis, « pleure et vomit tous les jours », a porté plainte. S’en est suivie l’interpellation de la productrice, mise en garde à vue pendant 48 heures.
La mise en cause a reconnu avoir « touché les cheveux » de la plaignante et lui en avoir fait compliment. Mais elle nie fermement ses autres accusations. Elle lui envoie cependant, le lendemain, le texto suivant : « Je t’écris pour te dire
que je suis infiniment désolée pour ce qui s’est passé hier soir. Je ne m’en souviens pas, mais je ne remets absolument pas ta parole en cause, bien entendu. Si je peux faire quoi que ce soit pour réparer, je suis là pour en parler quand tu le veux. Et je regrette infiniment de t’avoir blessée. Je me mets bien
évidemment en retrait du collectif. »
PRÉSOMPTION D’INNOCENCE
Elle ne « remet absolument pas en cause » la parole de plaignante. Mais elle nie ses allégations. Un peu difficile à suivre, on l’admettra. « Schizophrénie » inévitable pourtant : impossible d’enfreindre les règles du Code pénal alternatif #MeToo, que le Collectif a travaillé à promouvoir avec constance, et une conviction jamais prise en défaut. La Société des réalisateurs de films a pour sa part publié un communiqué lénifiant, dans lequel elle se félicite de la façon, à ses yeux exemplaire, dont le Collectif a traité cette crise. Mais elle déplore que « l’anonymat des personnes concernées ait été bafoué par la presse ». On l’a connue moins sourcilleuse sur ce sujet...
Laissons de côté la question embarrassante de savoir si l’agression sexuelle alléguée est une agression « sexiste » – « agressions sexuelles et sexistes », c’est un package dans la doxa #MeToo visant à éradiquer le « patriarcat ».
Dans un premier temps, les noms des protagonistes de cet incident n’ont pas été dévoilés : respect du secret de l’enquête et de l’instruction, puisqu’une
procédure pénale est en cours. On ne peut que s’enréjouir.
Or quelques jours plus tard, cette barrière si fragile par les temps qui courent, dont le Collectif 50/50 redécouvrait soudain les vertus, cède. Un article du
quotidien Le Monde révèle l’identité de l’accusée ainsi que celle de la plaignante. Sans guère se soucier de ce principe pourtant fondateur de la
procédure pénale en France, qui vise à protéger la présomption d’innocence, comme la vie privée des deux parties, et à garantir l’équité de la procédure
judiciaire. Un mépris aujourd’hui habituel il est vrai, en particulier sur ce genre d’affaires.
Agnès Jaoui : « Je pense que passer d’un monde où on bafoue la parole de
la victime à un monde où elle devient toute-puissante n’est pas souhaitable. »
On saura alors ceci : l’une des deux femmes – la comédienne qui accuse – est une « racisée » ; l’autre – la productrice accusée – est une « Blanche ».
L’article du Monde décrit bien la violence de l’explosion dans ce cœur du réacteur #MeToo. Pour les unes, il est inconcevable de revenir sur « un des
principes fondamentaux de #MeToo » qui est « de croire les plaignantes ». Car « remettre cela en cause, dans un cercle féministe, ce n’est pas possible ».
D’autres s’insurgent. Ainsi Agnès Jaoui : « Je pense que passer d’un monde où on bafoue la parole de la victime à un monde où elle devient toute-puissante n’est pas souhaitable [...] ». On se déchire – comment en irait-il autrement ?
Dans le même temps, Adèle Haenel – qui ne commente pas l’affaire, mais se trouve être une sœur de lutte de la plaignante contre ces « faits politiques » que sont « les violences sexistes et racistes » –, confiait à la presse italienne son intention d’arrêter le cinéma, système « oppressif » qui « récompense les violeurs ». Cela au nom de sa lutte contre le « capitalisme », menée aux côtés des militants de Révolution permanente (dissidence du NPA jugé trop droitier, soutenue notamment par Assa Traoré).
Comment lire tout cela ? Souvenons-nous d’un des leitmotivs de la soirée Adèle Haenel sur Mediapart, psalmodié par Edwy Plenel en personne : les luttes
du « peuple intersectionnel ». Un « peuple » composé de différentes sections, définies par les discriminations que subit telle ou telle « minorité » (trans, gays, « racisés », etc.).
UNE BLANCHE COUPABLE
L’ennemi commun à ce « peuple intersectionnel » est, selon la doxa en vigueur, « l’hétéropatriarcat-blanc-colonial », le fauteur de l’oppression de genre (sexisme) étant l’Occident, comme le professe le Planning familial dans son « Lexique trans ».
Plusieurs discriminations peuvent certes se combiner chez une même personne : femme + lesbienne + « racisée » par exemple. Mais une implacable hiérarchie des discriminations opère néanmoins, dont la mesure est donnée par la distance qui sépare un groupe ou un individu de la source de l’oppression. Dans la crise du Collectif 50/50, l’accusée quoique femme, est une « Blanche », de surcroît du côté du « capitalisme » honni (par essence prédateur/patriarcal, évangélise l’écoféminisme), puisque productrice.
La dimension raciale sauve ainsi le caractère indivisible des « agressions sexistes et sexuelles ».
Car le « racisme » chapeaute et inclut le « sexisme ».
Ce qui fait de l’accusée, toute femme qu’elle soit, un suppôt, enfin démasquée, de « l’hétéropatriarcat colonial » : un « mâle blanc » (systémique) malgré
elle...
La suite reste à écrire. Allons-nous vers une révision drastique du logiciel
#MeToo/intersectionnalité ? Peut-être. D’ici là, il est à craindre que, Adèle Haenel guidant le peuple (intersectionnel) à l’horizon, l’on ne s’entre-guillotine de plus en plus frénétiquement, au nom d’une « pureté » minoritaire toujours plus absolue.
Passion mortifère de la Terreur.