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Mali : De Baltimore à Tombouctou : les mille et une vies d’Oumou Sangaré

lundi 18 juillet 2022, par siawi3

Source : https://www.marianne.net/culture/musique/de-baltimore-a-tombouctou-les-mille-et-une-vies-doumou-sangare?utm_source=nl_quotidienne&utm_medium=email&utm_campaign=20220714&xtor=EPR-1&_ope=eyJndWlkIjoiZWU1YTU1MWQyNmQzMmYxMmE0MzMyZDY4NmJjYmFiMmUifQ%3D%3D

De Baltimore à Tombouctou : les mille et une vies d’Oumou Sangaré

Par Sono Mondiale Frédérique Briard

Publié le 14/07/2022 à 9:30

Star de la world music, femme d’affaires, féministe : la chanteuse Oumou Sangaré coiffe bien des casquettes. Elle vient de sortir un nouvel album, « Timbuktu », superbe, qu’elle défendra au festival Les Suds à Arles, puis sur les routes de France.

Elle a du coffre, Oumou Sangaré, au sens propre comme au sens figuré. À 54 ans, la diva malienne – sans doute la plus grande voix féminine africaine de ces dernières décennies – ne se contente pas d’inspirer une Beyoncé (qui l’a samplée) ou une Aya Nakamura (qui lui rend hommage dans un titre éponyme). Avec Timbuktu, elle innove encore une fois : après un habillage électro, puis acoustique de la musique traditionnelle de son Wassoulou natal, voilà qu’elle la pare de blues dans ce treizième album.

Un blues prégnant, finement ciselé par les guitares de Pascal Danaë (Delgres) qui a réalisé cet opus avec Nicolas Quéré. Timbuktu n’a pas son pareil, il ne ressemble ni au blues d’Ali Farka Touré ni à celui de Boubacar Traoré ou encore à celui de Tinariwen. En instaurant un somptueux dialogue entre les cordes du kamele ngoni (petite harpe malienne) et celles de la guitare dobro (guitare à résonateur), il célèbre les noces afro-américaines des champs de coton et de la brousse des chasseurs donso.

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« C’est vrai, je n’aime pas les barrières entre les choses. Ma vie est ouverte, ma musique aussi. Le mélange est pour moi toujours positif », avoue celle qui a fait connaître cette musique du sud du Mali au monde entier. Originellement, le Wassoulou s’est construit sur le métissage. « Nous sommes des Peuls qui ont quitté le nord du pays derrière les bœufs pour descendre dans son extrême sud résume la diva. Arrivés chez les Malinkés, les Peuls ont donné des femmes comme épouses et ce mariage, on l’entend dans notre musique, c’est ce qui fait son charme. Elle réunit trois cultures – malinké, bambara, peule – beaucoup de rythmes, elle est riche. » Cette région, délaissée par le gouvernement et dépourvue d’infrastructures hôtelières, Oumou Sangaré la porte tant dans son cœur qu’elle l’a dotée d’un campement et d’un festival, le FIWA (Festival International du Wassulu), pour la promouvoir. Cette année, l’évènement a accueilli 400 000 personnes, il est devenu le plus important festival musical du Mali.

C’est pourtant bien loin de là qu’est né Timbuktu. En 2020, en pleine pandémie, l’artiste se retrouve coincée trois mois durant à New York. Elle se réfugie à Baltimore, au calme, où, en compagnie de Mamadou Sidibé, joueur de ngoni vivant aux États-Unis et compagnon de route de ses débuts, elle donne forme à cet album. Empreinte de nostalgie, touchée par la situation dans laquelle le Mali s’enlise, entre terrorisme et écoles fermées, Oumou Sangaré écrit sur la guerre, les enfants délaissés, la médisance, le sort des femmes. Depuis Paris, Pascal Danaë l’accompagne, pose sa guitare slide qui épouse les inflexions de sa voix. Courbes sensuelles, entrelacements majestueux. La complainte se fait lancinante quand Oumou chante Timbuktu, cette ville du nord du Mali symbole de l’érudition, attaquée par les islamistes, abandonnée par l’État. Une ode à son pays mis à mal.

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« C’est ma manière de participer à leur douleur convient la diva. Toutes ces vies innocentes qui tombent chaque jour dans le Nord… En tant qu’ambassadrice de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, je leur dois ce cri du cœur adressé aux instances concernées : vous êtes des grandes personnes, mettez-vous autour d’une table, parlez. C’est notre rôle à nous hommes et femmes de culture d’apaiser les cœurs, d’amener les gens à la raison. » Jamais froid aux yeux, Oumou Sangaré, ni la langue dans sa poche quand il s’agit de s’indigner. Même si elle observe le respect et la pudeur que sa culture impose, elle avoue interpeller directement dans cet album les dirigeants pour leur demander « d’ouvrir les yeux et de faire quelque chose » quant à la situation des femmes et des enfants dans son titre Demissimw.

Car son combat, depuis toujours, elle le mène d’abord pour les femmes. Abandonnée par son père, vendeuse d’eau puis chanteuse dès son plus jeune âge pour subvenir aux besoins de la fratrie, elle a cette fièvre chevillée au corps : améliorer la condition féminine en Afrique. « Elle a peu changé même s’il y a eu des améliorations », confie celle qui a créé sa fondation après avoir maraudé des nuits durant dans les rues de Bamako pour soigner femmes et enfants en détresse. Aujourd’hui, son engagement dépasse les frontières et partout dans le monde sa lutte fait mouche. « Un jour, je suis allée chanter au Mexique se souvient-elle. À l’aéroport, plus de 400 femmes sont venues m’accueillir : elles me connaissaient, suivaient mon combat et m’ont raconté ce qui se passait chez elles. On humilie les femmes là-bas de manière terrifiante, bien pire qu’en Afrique. On peut aller jusqu’à échanger une fille contre une bouteille de vin… »

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Dans le titre Degui N’Kelena, Oumou Sangaré exhorte les femmes à apprendre à vivre seule, unique solution selon elle pour s’armer et s’épanouir. « J’ai eu des moments durs dans ma vie, souffle-t-elle, et j’ai tiré ma résilience de ma solitude, en l’affrontant. Aujourd’hui, je suis plus forte que les coups. » Récemment, la chanteuse a fait ses premiers pas au cinéma, dans le prochain film de Maïmouna Doucouré, Hawa (Amazon Prime Video). Un nouveau terrain de jeu qu’elle a adoré. Elle y tient le rôle d’une grand-mère, une histoire de femmes encore. « Je suis déjà grand-mère dans la vie, de trois princesses, ça m’a facilité les choses ! rit-elle. Mon fils, mon enfant unique, s’est marié à une femme de Tombouctou. Lui est noir, elle, arabe. Vous voyez le métissage entre le nord et le sud ? Il continue ! »

Timbuktu d’Oumou Sangaré, World Circuit / BMG.


Oumou Sangaré sera en concert le 15 juillet aux Suds à Arles puis en tournée en France à partir de septembre. Ici toutes les dates.