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Jeunes chrétiennes voilées sur TikTok : « Il y a un retour d’une forme de spiritualité du corps »
vendredi 22 juillet 2022, par
Jeunes chrétiennes voilées sur TikTok : « Il y a un retour d’une forme de spiritualité du corps »
Extension du domaine du voilement
Propos recueillis par Jean-Loup Adenor
Publié le 20/07/2022 à 11:00
Sur TikTok, de plus en plus de jeunes filles qui se revendiquent chrétiennes choisissent de se voiler et d’en faire la promotion. Ces vidéos atteignent parfois des centaines de milliers de visionnages et de « likes ». Pour Isabelle Jonveaux, auteure de « Dieu en ligne. Expériences et pratiques religieuses sur Internet », ces nouvelles expressions de religiosité s’épanouissent à la faveur du mode de fonctionnement des réseaux sociaux.
Le christianisme va-t-il devoir, lui aussi, composer avec le voile ? Des jeunes femmes et adolescentes se revendiquant chrétiennes portent de plus en plus le voile et en font la promotion sur le réseau social TikTok. Un signe de religiosité traditionnellement associé aux musulmanes, auquel n’est pas habitué le christianisme européen. Symbole de pudeur, imitation des pratiques des jeunes femmes musulmanes ou marqueur identitaire ? Marianne s’est entretenu avec la sociologue Isabelle Jonveaux, auteure de Dieu en ligne. Expériences et pratiques religieuses sur Internet.
Marianne : Est-ce juste aujourd’hui de parler d’un retour du voile chez les jeunes chrétiennes ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un phénomène propre aux réseaux sociaux ?
Isabelle Jonveaux : Je pense effectivement qu’il s’agit surtout d’un phénomène qui se développe sur et pour les réseaux sociaux. De ce que j’en ai observé, c’est d’ailleurs un phénomène propre à TikTok. Je pense qu’il est important de noter qu’il n’y a pas eu d’enquête permettant de connaître exactement le profil sociologique de ces jeunes filles : elles sont certes francophones, mais certaines peuvent être orthodoxes, communauté dans laquelle il est plus courant de porter le voile, ou des jeunes chrétiennes qui vivent dans des pays imprégnés de culture musulmane, où le voile est plus présent, comme au Liban par exemple. Il faut absolument tenir compte du contexte culturel dans lequel évoluent ces jeunes femmes.
Pour les Françaises concernées par ce voilement, est-on face à un phénomène réellement religieux, ou identitaire ?
Je constate que la question identitaire est de plus en plus présente dans notre société. Certains parlent effectivement d’un catholicisme identitaire, qui va de pair avec ce besoin d’affirmer son identité sur les réseaux sociaux, quelle qu’elle soit. C’est une tendance liée au retour du religieux, qui trouve toute une nouvelle grammaire sur les réseaux sociaux. Le fait de s’intéresser au voile, c’est aussi parce qu’il y a, dans les sociétés ouest européennes, une certaine concurrence entre les religions, la plus visible étant la religion musulmane.
Mais que vient faire TikTok là-dedans ?
Il y a une synergie entre ce catholicisme identitaire et la façon dont fonctionne TikTok. Pour ces nouveaux influenceurs, il faut trouver des points de différenciation pour pouvoir acquérir plus d’audience que tel ou tel autre influenceur. On va prendre tout ce qui est à prendre. On peut légitimement se demander jusqu’à quel point ces jeunes filles sont vraiment conscientes de ce qu’elles font, jusqu’à quel point tout cela est cohérent par rapport à leur rapport réel et quotidien à la religion.
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Mais ce qu’on observe, TikTok ou pas, c’est le retour d’une forme d’ascèse – des formes de spiritualité qui font appel au corps. Alors que le catholicisme a abandonné toutes les pratiques où le corps était impliqué, comme le voile ou le jeûne par exemple, on voit ces signes corporels revenir. En Île-de-France par exemple, il est de plus en plus courant de voir des chrétiens recevoir la communion à genoux. Et ces formes d’ascèses que j’ai pu étudier sont beaucoup plus strictes qu’avant – pour le jeûne par exemple, certains chrétiens choisiront de se nourrir uniquement de liquide.
« Il y a dans le domaine religieux des espaces de concurrence. L’islam a une forme d’influence qui peut pousser les jeunes femmes à porter ce type de signes pour affirmer certaines valeurs, comme la pudeur. »
Mais existe-t-il dans la Bible un commandement des femmes à se voiler ?
Il y a la première épître de Saint Paul aux Corinthiens, chapitre XI verset 5 : « Toute femme qui prie ou prophétise sans avoir la tête couverte fait honte à sa tête : c’est exactement comme si elle était rasée. » Mais à l’exception de ce passage, je n’en connais pas d’autre. Comme le disent les théologiens eux-mêmes, la Bible est imprégnée des cultures de l’époque et revêt différents niveaux de lecture ; l’Église catholique n’a jamais demandé que les femmes se couvrent la tête. Ces jeunes filles portent le voile comme le feraient des musulmanes, alors que dans le catholicisme, il y a plutôt une notion de respect du lieu qu’est l’église. Les hommes se découvrent la tête s’ils portent un chapeau, par respect et les femmes, elles, peuvent se couvrir la tête.
Notons quand même qu’il y a un passage de l’Ancien Testament où un homme se couvre la face : Moïse, quand il est en présence de Dieu.
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Il y a donc concurrence entre islam et christianisme ?
Oui, il y a dans le domaine religieux des espaces de concurrence. L’islam a une forme d’influence qui peut pousser les jeunes femmes à porter ce type de signes pour affirmer certaines valeurs, comme la pudeur.
Ces jeunes femmes cherchent-elles finalement à pratiquer une religion de manière plus stricte, plus cadrée, que leurs parents ?
En France, particulièrement en région parisienne, à Versailles ou à Lyon, il y a une tendance du catholicisme à s’orienter vers un conservatisme plus marqué. Ce catholicisme-là va réaffirmer des pratiques plus traditionalistes, plus conservatrices. C’est une réaction à la sécularisation très importante de la France et à la perte de cette identité chrétienne. Aujourd’hui, 50 % des Français disent ne pas avoir de religion. C’est cette sécularisation qui amène un renforcement de la frange la plus conservatrice du catholicisme.
« L’Église a toujours su saisir les nouveaux moyens de communication qui étaient propices à la diffusion de son message. »
Les réseaux sociaux jouent désormais le rôle d’outil de prosélytisme ?
Pour certains, bien sûr. Auparavant, on savait que les évangéliques y étaient très présents. Je pense que si ces jeunes femmes, ces influenceurs religieux, fleurissent eux aussi sur les réseaux sociaux, c’est qu’aujourd’hui, les jeunes s’attachent à une personne particulière ; ils ne veulent plus de contenus institutionnels, mais avoir quelqu’un qu’ils auront l’impression de connaître, qui dégagera un sentiment d’authenticité.
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Le recours aux réseaux sociaux change-t-il notre rapport à la religion ?
Sur ces nouveaux réseaux sociaux, tout le monde a accès à tout. On va être confronté à des contenus religieux sans forcément le solliciter. Quant aux croyants, on observe plus de souplesse dans ce qu’ils vont aller consulter, les enseignements qu’ils vont écouter. Des catholiques peuvent tomber sur des sermons d’églises protestantes et évangéliques, par exemple. L’offre est présente pour tout le monde, à la portée de tout le monde, il y a donc davantage de souplesse à aller consulter des contenus qui ne relèvent pas strictement de ma propre religion.
Et l’Église semble très bien s’être adaptée aux réseaux sociaux…
Débat des lecteurs
56 débatteurs en ligne
Les jeunes pratiquent-ils leur religion de façon plus conservatrice que leurs aînés ?
Oui
Non
26 votes - Voir le résultat
Manu .
Manu .
Non
Influenceuse religieuse sur Tik Tok le lundi et le jeudi, influenceuse mode, maquillage et régime alimentaire les autres jours de la semaine... Adol ...Lire plus
Je travaille sur Internet et la religion depuis 15 ans maintenant. L’Église a toujours su saisir les nouveaux moyens de communication qui étaient propices à la diffusion de son message. Les monastères ont adopté l’imprimerie assez tôt pour diffuser des sermons ; on voit que la télévision a été utilisée très tôt en France, notamment par les Dominicains. L’Église n’a jamais été en retard par rapport à ça.