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Algérie : Algérie : le quotidien francophone El Watan moribond
dimanche 24 juillet 2022, par
Source :https://www.lefigaro.fr/international/algerie-le-quotidien-francophone-el-watan-moribond-20220719
Algérie : le quotidien francophone El Watan moribond
RÉCIT - Tout le champ médiatique est en voie de désintégration, victime de l’argent des réseaux mafieux, de l’absence de formation et de l’effritement des élites.
RÉCIT - Tout le champ médiatique est en voie de désintégration, victime de l’argent des réseaux mafieux, de l’absence de formation et de l’effritement des élites.
À Alger
Une page de l’histoire de la presse algérienne est en train de se tourner. Après la fermeture du quotidien Liberté en avril, c’est un autre grand titre de la presse francophone qui pourrait disparaître avant la fin de l’année : El Watan. Après « près de cinq mois sans salaire », pour laisser « le temps à la direction de trouver une issue aux problèmes financiers que traverse l’entreprise », les employés d’El Watan ont entamé une grève cyclique la semaine dernière et ont reconduit leur mouvement lundi 18 juillet.
Selon la direction du journal, « ce retard de paiement est imputable au blocage des comptes bancaires de l’entreprise en raison d’un contentieux l’opposant à l’administration fiscale ». Cette dernière réclame à El Watan l’équivalent de 370.000 euros et refuse d’accorder à l’entreprise un échéancier de paiement. Par ailleurs, la banque du journal exige le remboursement d’une partie du crédit contracté pendant la pandémie, d’environ 300.000 euros.
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Dans cette impasse, « sauf miracle, El Watan est condamné, tranche Ali Boukhlef, ex-journaliste du service politique du quotidien, aujourd’hui correspondant pour des médias étrangers. Les autorités veulent laisser mourir le journal, qui reste le dernier à tenter de faire du journalisme malgré ses lacunes. Si elles avaient voulu l’aider, depuis le temps que la crise dure, elles auraient déjà fait un geste. D’autant que les solutions existent, puisque l’entreprise possède des actifs qu’elle pourrait vendre. » Quant à l’option du rachat du journal par une personne privée, « elle est peu probable », de l’avis de plusieurs journalistes algérois. « Tout le monde sait qu’être patron de presse en Algérie est une source de problèmes sans fin avec le pouvoir », résume un ex-rédacteur en chef sous couvert d’anonymat.
Asphyxie financière
« El Watan comme El Khabar (son semblable arabophone, NDLR) se sont développés au début des années 1990 selon un modèle d’opposition - au pouvoir et aux islamistes - qui ne peut plus exister aujourd’hui. Un média qui critique le gouvernement ou l’armée est un média qui s’expose à ne plus avoir de rentrées publicitaires, l’essentiel des annonces étant distribué par une agence d’État qui ouvre ou ferme le robinet selon les lignes éditoriales, les privés, terrorisés, ne donnant plus de pub depuis longtemps. »
C’est donc par asphyxie financière qu’El Watan finira par plier, après avoir résisté pendant trente ans aux suspensions de publication, au harcèlement judiciaire et administratif, et après avoir tenté de cultiver son indépendance financière, avec une imprimerie, puis un siège que l’entreprise a mis dix ans à construire mais qu’elle ne pourra jamais occuper, faute d’avoir respecté les normes de construction. Pourtant, avec tout l’argent engrangé grâce à la publicité entre le début des prospères années 2000 et la réélection d’Abdelaziz Bouteflika à un quatrième mandat en 2014, qui marqua le début d’une lente descente aux enfers, « jamais El Watan n’aurait dû se retrouver dans une telle fragilité », soulignent ceux qui connaissent l’entreprise et attribuent aussi les raisons de son déclin à « des facteurs endogènes ».
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Parmi les anciens du journal, ceux qui ont accusé la direction de « cultiver le même logiciel que le pouvoir », dénonçant « opacité, mauvaise gestion, culture de l’allégeance » ou, pendant des années, l’absence de syndicat, comme parmi ceux qui sont restés fidèles à l’entreprise depuis plus de vingt ans, le constat est le même. Tous disent avoir vu « les actionnaires s’enrichir, acheter des biens à l’étranger, envoyer leurs enfants étudier à l’étranger », pendant que les journalistes ont travaillé « au péril de leur vie » pendant la décennie noire. Certains estiment avoir fait d’« énormes sacrifices pour le journal », eux qui vivaient « dans la plus grande précarité » avec « interdiction de collaborer avec d’autres médias ».
Désintégration du champ médiatique
Sans Liberté, El Watan ni même Le Quotidien d’Oran (autre grand titre des années 1990 menacé de disparition), la presse papier ne comptera quasiment plus de titres francophones. En fait, c’est tout le champ médiatique qui est en train de se désintégrer, victime de plus de vingt années de sape sous Bouteflika, de l’argent des réseaux mafieux et de la corruption, de l’absence de formation et de l’effritement des élites.
Pour que de vrais médias puissent repousser sur cette terre brûlée, Lyas Hallas, journaliste et fondateur du site d’information Twala, qui voudrait promouvoir un journalisme au long cours, estime qu’il faut « arrêter avec la rente » de la publicité qui biberonne aujourd’hui des centaines de journaux, dont certains n’existent même pas dans les kiosques. « Les médias doivent pouvoir se développer selon des règles de compétition saines et claires. Le problème, c’est que le pouvoir est en train de reproduire avec les médias électroniques le même schéma qu’avec la presse papier : il en choisit quelques-uns, qu’il va engraisser avec la publicité. »
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