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Salman Rushdie, un écrivain en lutte contre « la mafia des religions »
samedi 13 août 2022, par
Salman Rushdie, un écrivain en lutte contre « la mafia des religions »
Portrait
Par Jean-Loup Adenor et Thibaut Solano
Publié le 12/08/2022 à 18:47
L’écrivain Salman Rushdie dont l’ouvrage « Les Versets sataniques » avait fait de lui la cible d’une fatwa en 1989 a été attaqué à Chautauqua, dans le nord-ouest de l’Etat de New York, lors d’une conférence ce vendredi 12 août. « Nous sommes menacés par le renoncement » déclarait à « Marianne » en 2012 celui qui estimait alors que le chantage à l’« islamophobie » empêchait « toute discussion » sur l’islam.
L’écrivain britannique d’origine indienne Salman Rushdie a été attaqué ce vendredi 12 août en marge d’une conférence aux États-Unis, à Chautauqua dans le nord-ouest de l’Etat de New York, près du lac Erié qui sépare les Etats-Unis du Canada. Salman Rushdie est l’auteur des Versets Sataniques, un roman qualifié de blasphématoire et interdit dans une dizaine de pays musulmans très conservateurs.
L’auteur, né en 1947 à Bombay en Inde, deux mois avant son indépendance de l’Empire britannique, essaie de ne pas être réduit au scandale provoqué par la publication des Versets sataniques, qui avait embrasé le monde musulman et conduit en 1989 à une « fatwa » demandant son assassinat. « Je savais qu’il y aurait des réactions hostiles. Mais l’arrivée de l’Iran dans cette histoire était totalement inattendue. Qu’est-ce que l’Iran avait à voir là-dedans ? », expliquait l’auteur à Marianne dans une interview en décembre 2012.
Une fatwa pour Les Versets sataniques
Le 14 février 1989, l’ayatollah Rouhollah Musavi Khomeini s’emparait pourtant de son ouvrage, condamnant toute personne ayant contribué à sa publication à la mort. « Je veux informer tous les musulmans que l’auteur du livre intitulé « Les Versets sataniques », qui a été écrit, imprimé et publié en opposition à l’Islam, au prophète et au Coran, aussi bien que tous ceux qui, impliqués dans sa publication, ont connaissance de son contenu, ont été condamnés à mort », déclarait le chef politique et spirituel iranien.
Le principe de la fatwa ? L’ayatollah appelait « tous les musulmans zélés à les exécuter rapidement, où qu’ils les trouvent, afin que personne n’insulte les saintetés islamiques ». Une escalade dont Rushdie disait à Marianne qu’elle « l’importait peu » : « Je n’étais pas iranien, ma famille n’était pas très religieuse et, en plus, elle n’était pas chiite mais sunnite. Je ne pensais d’ailleurs pas que les Versets sataniques puissent être qualifiés de blasphématoires, même si cela m’importait peu : quand vous n’êtes pas croyant, le concept de blasphème vous est totalement étranger. »
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Contraint dès lors de vivre dans la clandestinité et sous protection policière, allant de cache en cache, il se fait appeler Joseph Anton, en hommage à ses auteurs favoris, Joseph Conrad et Anton Tchekhov. Il doit affronter une immense solitude, accrue encore par la rupture avec sa femme, la romancière américaine Marianne Wiggins, à qui Les Versets sont dédiés. En 1990, il publie, en signe d’apaisement, un essai, De bonne foi, ainsi que des excuses dans lesquelles il réaffirme son respect pour l’islam. Le 24 septembre 1998, le gouvernement iranien annonce officiellement son renoncement à accomplir la fatwa, mais déclare qu’elle ne pouvait être annulée selon la loi islamique. Même si la menace de mort qui pèse sur lui n’est pas pour autant relevée, Rushdie abandonne alors son nom d’emprunt Joseph Anton.
En 2016, des médias iraniens avaient relancé la fatwa contre Salman Rushdie, offrant 600 000 dollars de récompense pour sa tête, rapportait la presse britannique. « Mon problème, c’est que les gens continuent de me percevoir sous l’unique prisme de la fatwa », avait dit il y a quelques années l’écrivain athée. Mais l’actualité – la montée en puissance de l’islam radical – n’a cessé de le ramener à ce qu’il a toujours été aux yeux de l’Occident : le symbole de la lutte contre l’obscurantisme religieux et pour la liberté d’expression. Déjà en 2005, il considérait que cette fatwa avait constitué un prélude aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis.
« L’islam n’est pas une race »
Après les Versets, Salman Rushdie a continué à tenir des positions critiques vis-à-vis de ce qu’il appelle lui-même « la mafia des religions » et plus particulièrement des « tentatives répétées de musulmans pour éviter toute discussion » sur l’islam. Dans cette même interview à Marianne de décembre 2012, il estimait que les pays occidentaux assistaient « depuis quelques années à des tentatives répétées de musulmans pour éviter toute discussion, toute critique de l’islam, en les qualifiant d’”islamophobie”. » Un concept inacceptable selon lui : « L’islam n’est pas une race et l’idéologie n’est pas une catégorie ethnique », balayait-il.
L’auteur critiquait également le « glissement vers une sorte de relativisme culturel » qui, selon lui, contraint les pays occidentaux à traiter l’islam différemment « parce que l’islam est violent ». « Ce qui se cache derrière ce respect pour l’islam est en fait de la peur, estimait-il. C’est très préoccupant, car nous avons besoin, dans ces pays où nous avons la chance qu’elle règne, de défendre la liberté. Vous la défendez ou vous la perdez. Voilà pourquoi je suis préoccupé : il faudrait tenir bon et nous sommes menacés par le renoncement. »
Salman Rushdie, dont le nom reste fatalement lié aux Versets sataniques et à la fatwa, est néanmoins l’auteur de 12 romans et de trois essais. Depuis 2000, il a acquis la nationalité américaine et réside à New York.
Par Jean-Loup Adenor
Par Thibaut Solano