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L’attaque contre Salman Rushdie acte « l’ubiquité et la résilience d’un phénomène djihadiste multiforme sur le sol même de l’Occident »
Sunday 14 August 2022, by
International
Iran
L’attaque contre Salman Rushdie acte « l’ubiquité et la résilience d’un phénomène djihadiste multiforme sur le sol même de l’Occident »
Tribune
Gilles Kepel, directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l’Ecole normale supérieure
La fatwa émise en 1989 par l’ayatollah Khomeyni visait à affirmer sa prééminence en matière d’islamisme révolutionnaire face aux groupes radicaux sunnites. Dans une tribune au « Monde », Gilles Kepel analyse cette longue rivalité, jusqu’à l’agression contre l’écrivain commise par un jeune chiite d’origine libanaise.
Publié aujourd’hui à 11h33, mis à jour à 12h39 .
Le 14 février 1989, à la veille du retrait de l’armée rouge d’Afghanistan, l’ayatollah Khomeyni, Guide suprême de la République islamique d’Iran, émit la fatwa condamnant à mort Salman Rushdie, au motif que son roman Les Versets sataniques aurait blasphémé le Prophète. La date choisie par le dirigeant chiite avait pour objet d’obnubiler aux yeux du monde musulman la victoire attendue de ses rivaux sunnites, soutenus par la CIA et financés par l’Arabie saoudite et les pétromonarchies, qui allaient bouter hors de la terre d’islam afghane les forces de l’athéisme communiste qui l’avaient envahie une décennie plus tôt.
Dans l’immédiat, le scandale mondial déclenché par la fatwa – un ayatollah iranien condamnant à mort un citoyen britannique sur le sol même du Royaume-Uni, du jamais-vu à l’époque – eut l’effet escompté : Khomeyni avait tiré le tapis sous les pieds de l’islamisme sunnite qui escomptait se prévaloir de la défaite soviétique pour apparaître comme le héraut et le héros des musulmans « humiliés et offensés » à travers la planète. Pas grand monde ne remarqua sur l’instant la défaite soviétique, qui aurait des conséquences géopolitiques décisives – entraînant le 9 novembre suivant la chute du mur de Berlin et la mort du communisme.
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L’ayatollah avait remporté la guerre médiatique, et ce fut pour reprendre la main face à cette rivalité dans l’hégémonie sur l’islamisme révolutionnaire qu’Ayman Al-Zawahiri (qui vient d’être tué fin juillet par un missile américain à Kaboul, où les talibans ont fait leur retour après le retrait des Etats-Unis, cette fois, il y a un an) avait théorisé, dans son manifeste de 1996 Cavaliers sous la bannière du Prophète, la nécessité de frapper le grand coup du djihadisme sunnite que serait « la double razzia bénie » du 11 septembre 2001. Laquelle permettrait à Al-Qaida de monopoliser l’actualité au détriment des rivaux de Téhéran en semant la mort en Occident, à Washington et New York.