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France : Jeannette Bougrab : « Après Salman Rushdie, nous devons mener la bataille contre l’islamisme »

vendredi 26 août 2022, par siawi3

Source : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/jeannette-bougrab-apres-salman-rushdie-nous-devons-mener-la-bataille-contre-lislamisme


Jeannette Bougrab : « Après Salman Rushdie, nous devons mener la bataille contre l’islamisme »

Tribune
Par Jeannette Bougrab

Publié le 22/08/2022 à 15:30

Alors que Salman Rushdie est toujours hospitalisé après la tentative d’assassinat dont il a été victime, le 12 août, Jeannette Bougrab, docteure en droit et essayiste, ancienne Secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et de la Vie associative, analyse l’idéologie de la théocratie iranienne.

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Le 14 février 1989 fut ce jour funeste où sur les ondes de radio Téhéran l’ayatollah Khomeyni, débarquant dix ans plus tôt de Neauphle-le-Château, petite bourgade de l’Essonne où la France lui avait offert refuge, lança sa fatwa contre Salman Rushdie qui venait de publier lesVersets sataniques.

Le chef spirituel de la révolution islamique appela alors tout bon musulman à assassiner l’écrivain anglo-indien, jugeant son roman blasphématoire envers le Coran. Outre la folle promesse d’être élevé au rang de martyr, la fatwa était assortie d’une prime de deux millions de dollars. Cet appel au meurtre ne visait pas seulement l’écrivain, mais également les éditeurs, les traducteurs, en fait tous ceux qui avaient eu la témérité de lire le roman afin que personne ne puisse imaginer un seul instant pouvoir insulter l’Islam en toute impunité.


Sartre et Beauvoir complices

Comment des intellectuels français de Jean-Paul Sartre à Simone de Beauvoir au nom même de la liberté, avaient-ils pu être complices de ce futur tyran ? Comment de tels esprits ont-ils pu ainsi se fourvoyer ? Le livre programmatique que Khomeyni a publié en 1970, Le gouvernement islamique, était limpide comme de l’eau de roche. Les déclarations que donnaient l’ayatollah et les entretiens qu’il accordait au 23 de la rue de Chevreuse ne laissaient aucune ambiguïté sur ce qui allait advenir. Malgré cela, Michel Foucault l’appelait le « saint homme ». Le philosophe de Surveiller et Punir (1975) réfutait même le caractère théocratique du régime que projetaient les mollahs : « Personne, en Iran, n’entend [par gouvernement islamique] un régime politique dans lequel le clergé jouerait un rôle de direction ou d’encadrement. » Et d’ajouter : « Je me sens embarrassé pour parler du gouvernement islamique comme « idée » ou même comme « idéal ». Mais comme « volonté politique », il m’a impressionné. Il m’a impressionné dans son effort pour politiser, en réponse à des problèmes actuels, des structures indissociablement sociales et religieuses ; il m’a impressionné dans sa tentative aussi pour ouvrir dans le politique une dimension spirituelle », affirme-t-il le 16 octobre 1978 dans le Nouvel Observateur.

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Le discours prononcé par Khomeyni à l’école Faiziyah à Qom, la cité des mollahs, le 5 juin 1979, est glaçant : « Nous allons détruire les gens qui s’opposent à l’Islam avec la même force que nous avons utilisée pour détruire le régime du Chah. Attention à vos déclarations. Abstenez-vous d’écrire. »

Il s’en est trouvé des fanatiques pour brûler des livres sur les places publiques de Bradford à Islamabad en passant par Mumbai, il s’en est trouvé des fous de Dieu pour exécuter des innocents à coups de poignards. La mort de Khomeyni ne mettra pas fin à cette nouvelle inquisition. Loin de là ! La prime fut même portée à 3,3 millions de dollars en 2012.

« Qui se souvient de Hitoshi Igarashi, ce professeur japonais ? Il a été poignardé à mort de quatorze coups de couteau dans sa propre université pour avoir eu le courage de traduire les Versets sataniques. »

Pendant trente-quatre ans, Salman Rushdie a pu passer par miracle entre les mailles du filet. Mais le prix payé fut lourd : des années à se cacher, sous protection policière. Pendant cette période marquée par la peur, il fit preuve d’un courage remarquable, ne cessa jamais d’écrire ni de riposter aux attaques incessantes. S’exprimant devant des étudiants de l’université de Vermont aux États-Unis, il évoqua son combat et le droit de pouvoir critiquer l’Islam sans le couperet de l’accusation de racisme ou d’islamophobie, mais au nom simplement de la liberté d’expression (voir Salman Rushdie, « What’s The Use Of Stories That Aren’t Even True ? », University of Vermont, Burlington, 14 juin 2015).

Mais combien sont morts dans l’indifférence ? Qui se souvient du visage de Hitoshi Igarashi, ce professeur japonais et grand érudit de la culture perse et arabe ? Il a été poignardé à mort de quatorze coups de couteau, le 12 juillet 1991, dans sa propre université pour avoir eu le courage de traduire et donner à lire les Versets sataniques. De nombreuses menaces pesaient pourtant sur lui de la part de l’association des résidents pakistanais au Japon dont le leader réclamait sa tête. À ce jour, personne n’a été poursuivi, personne n’a été condamné pour ce meurtre.

D’autres ont été plus « chanceux », ils ont survécu à leurs blessures comme Ettore Capriolo, traducteur italien, poignardé et laissé pour mort en 1991 ou encore William Nygaard, l’éditeur norvégien, blessé de trois balles dans le dos en 1993, la même année que le traducteur turc, Aziz Nesin, qui échappa à un incendie criminel qui causa la mort de 37 personnes.

« L’intégrisme, maladie de l’Islam »

La maladie de l’Islam, pour reprendre le titre du livre d’Abdelwahab Meddeb, écrivain tunisien (Seuil, 2002), s’est transformée en épidémie. Les deux principaux patients, le sunnisme et le chiisme, sont contaminés car il ne faut pas croire que cette violence soit spécifique aux Chiites, elle touche toutes les obédiences de l’Islam qui « se ressourcent dans une matrice commune : les thèses d’un islam radical millénariste, misanthrope, indompté, belliqueux, antichrétien, antisémite et misogyne », ainsi que l’explique, dans un entretien, Hamadi Redissi. Ben Laden, le Saoudien sunnite, illustrait cela, lui qui avait dit que les attentats du World Trade Center n’étaient qu’une simple piqûre pour l’Occident et que le pire restait à venir. Professant la fidélité à l’islam et la rupture avec tout ce qui n’est pas l’islam, il déclarait la Guerre sainte et vouait tous les mauvais musulmans et tous les non-musulmans à être tués. Meddeb affirmait justement que « si selon Voltaire, l’intolérance fut la maladie du catholicisme, le nazisme fut la maladie de l’Allemagne qu’ausculta Thomas Mann, l’intégrisme est la maladie de l’Islam. »

En dépit de l’émotion provoquée par la tentative d’assassinat de Salman Rushdie, rien ne changera si l’Occident continue de regarder l’islam non dans sa réalité actuelle, mais dans sa version fantasmée, comme « une épure spirituelle, anhistorique, universelle, sans aucun rapport avec les errements des terroristes fondamentalistes », comme le soulignent Mohammed Arkoun et Joseph Maïla dans De Manhattan à Bagad. Au-delà du Bien et du Mal (Desclée de Brouwer, 2003). Les terroristes ne seraient aux yeux de certains que des êtres perdus dont l’endoctrinement n’aurait rien à voir avec les nobles enseignements du Coran et du Prophète.

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Pourtant dès le début de la prédication de Mahomet, des assassinats de femmes et hommes de lettres auraient été ordonnés comme celui de la poétesse Asma bint Marwan dont le seul crime aurait été de critiquer le prophète dans ses écrits ou encore celui de Ka’b ibn al-Ashraf, accusé d’avoir écrit un poème érotique. Plus récemment c’est le poète chiite Sadiq Abdul Karim Malallah qui fut décapité en septembre 1992 à al Qatif en Arabie Saoudite sur la place publique.

Si on ne mène pas une véritable bataille idéologique afin de donner aux Musulmans les outils intellectuels pour combattre cet obscurantisme, d’autres Salman Rushdie viendront hélas rallonger cette liste funeste dressée au nom de Dieu.