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France: « Pour moi, l’Afghanistan, c’est fini. À Pontivy, je me sens en sécurité »

Tuesday 30 August 2022, by siawi3

Source: https://www.ouest-france.fr/bretagne/morbihan/temoignage-pour-moi-l-afghanistan-c-est-fini-a-pontivy-je-me-sens-en-securite-2854c93a-7594-11ec-bf95-2d0bee5037ae

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TEMOIGNAGE.
« Pour moi, l’Afghanistan, c’est fini. À Pontivy, je me sens en sécurité »

Depuis février 2020, Sadiqullah Jarrar est accompagné par le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) de Pontivy (Morbihan). Dans quelques jours, le père de famille afghan, qui a fui les talibans, sera fixé sur son sort.
Sadiqullah Jarrar, ancien interprète pour les Américains en Afghanistan, demandeur d’asile politique, est accompagné par le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) de Pontivy (Morbihan).

Photo: Sadiqullah Jarrar, ancien interprète pour les Américains en Afghanistan, demandeur d’asile politique, est accompagné par le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) de Pontivy (Morbihan). | THIERRY CREUX / OUEST-FRANCE

Ouest-France

Julie SCHITTLY.

Modifié le 30/08/2022 à 10h53 Publié le 30/08/2022 à 08h00

Il compte et recompte, et il n’en revient pas. Voilà deux ans et demi, déjà, que Sadiqullah Jarrar est arrivé en France et, depuis février 2020, à Pontivy (Morbihan).

L’Afghan de 34 ans sait mieux que personne sa chance d’être arrivé jusqu’ici en vie. Mais il a le cœur écartelé entre le Centre Bretagne et Kaboul, où il a dû laisser toute sa famille. Femme, enfants, parents, fratrie sont désormais à 6 000 km de lui.

En français et en anglais, Sadiqullah déroule sa vie. “J’étais un petit garçon lorsque les Américains sont arrivés en Afghanistan.” ​Lorsque son père est victime d’un grave accident de voiture, en 2003, et ne peut plus travailler, l’adolescent doit, avec son frère aîné, subvenir aux besoins des “petits”​, quatre garçons et trois filles. “Ce n’était pas encore la guerre, mais il y avait déjà des attentats à la bombe”​.

De 2006 à 2009, Sadiqullah reprend des études et suit des cours d’anglais et d’informatique. En parallèle, il enseigne l’anglais et travaille comme gardien dans une organisation internationale. “C’est là que j’ai commencé à servir d’interprète aux Américains. J’ai passé un test, j’ai été pris. J’étais content du salaire, mais aussi du travail. C’était un travail utile pour mon pays.”

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Parti… « un 11 septembre »

Pendant neuf ans, le jeune homme trace sa route, se marie, fonde à son tour une famille. Mais l’ombre des talibans se fait de plus en plus menaçante. “Ils voulaient m’obliger à arrêter de travailler avec les Américains, ils menaçaient mon père. Ils m’ont attaqué plusieurs fois. En voiture, quand on voyait un barrage, je me cachais. Avec les talibans, c’est la terreur, les femmes n’ont plus aucun droit, ils tuent des gens et on ne peut rien dire…”

En 2018, alors que son quatrième enfant n’est encore qu’un bébé, “je n’avais plus le choix, il a fallu que je parte. Accepter ce que les Talibans veulent faire de mon pays, c’est impossible pour moi”​. Sadiqullah rassemble rapidement 135 000 afghanis pour payer un passeur, “une fortune”​. Il compte et recompte : ça fait 666 €. “J’ai quitté mon pays… le 11 septembre.” ​Date symbolique pour un aller sans retour… et sans destination précise.

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« Mon cousin a été décapité »

Photo: « J’ai eu une vie dangereuse en quittant l’Afghanistan. Traverser quatorze pays avec ma femme et nos quatre enfants de 1, 4, 5 et 6 ans, c’était impossible. » | THIERY CREUX/OUEST-FRANCE

Devant le château de Pontivy, le trentenaire reprend son souffle, remué par ces souvenirs qu’il préfère chasser, la plupart du temps. Comment vivre aussi loin des siens, sans certitude de les revoir un jour ? Sadiqullah essaie de prendre des nouvelles, une fois par semaine.

Mais depuis que les talibans ont repris Kaboul, en août 2021, “internet ne marche plus bien, le système bancaire non plus… Ma famille a dû déménager à cause de moi.” ​Dans sa voix pourtant, pas de regret : “Cinq jours après l’arrivée au pouvoir des Talibans, un de mes cousins, qui avait aussi travaillé avec les Américains, a été décapité.”

Lorsque Sadiqullah est parti, “tout le monde a pleuré”​. Sa pudeur l’empêche de le dire, mais on imagine que son long chemin de croix jusqu’en France a aussi été pavé de ses larmes. “J’ai eu une vie dangereuse en quittant l’Afghanistan. Traverser quatorze pays avec ma femme et nos quatre enfants de 1, 4, 5 et 6 ans, c’était impossible.”

Alors c’est seul que le trentenaire a fui, avec presque rien, la peur au ventre mais le besoin de sauver sa peau, direction l’Iran. “On a mis 25 jours, beaucoup en marchant, parfois en voiture. On a marché jusqu’à 65 heures d’affilée… Si on se faisait arrêter, on était mort.”

« J’ai dormi dans des arbres »

Pendant son périple, qui le mène ensuite en Turquie, “j’ai beaucoup parlé avec d’autres qui s’enfuyaient comme moi”​. Sadiqullah entend de la France que c’est un pays accueillant, “où les gens nous traiteraient bien, où le gouvernement aidait les migrants”​.

Arrivé en Turquie, le jeune Afghan n’a plus un sou en poche. “J’ai passé onze mois là, j’ai travaillé au noir dans une usine textile.” ​Ses caisses renflouées, Sadiqullah cherche à passer en Grèce. Caché dans un train de fret, puis dans un grand camion “où nous étions au moins 70 personnes”​, il a failli rater son passage de la frontière. “On a cherché toute la nuit un endroit où on pourrait traverser.” ​Le groupe s’est dispersé, “seuls six sont arrivés en Macédoine”​.

Après six semaines en Grèce, à travailler dans des champs de légumes, le professeur d’anglais traverse les Balkans. “Je me suis débrouillé, j’ai même dormi dans des arbres, j’avais peur d’être refoulé. Tous les jours, j’ai risqué ma vie. Je suis resté une vingtaine de jours dans chaque pays. La Serbie, la Bosnie, la Croatie, puis la Slovénie… et l’Italie. À Trieste, des policiers m’ont demandé si je voulais rester.”

Pas le droit de travailler

Photo: « Pour moi, l’Afghanistan, c’est fini. À Pontivy, pour la première fois depuis très longtemps, je me sens en sécurité. » | THIERRY CREUX/OUEST-FRANCE

En décembre 2019, Sadiqullah n’a jamais été si proche du but. Il saute une dernière frontière, celle qui sépare Vintimille, en Ligurie, de Nice, sur la Côte d’Azur. “On était un groupe de vingt-cinq à vouloir passer. Là, tu n’as pas le choix, il faut leur faire confiance…” ​

​Un pied dans le sud de la France, le jeune homme appelle un ami d’enfance, exilé à Paris. “Il m’a pris un billet de train.” ​Dans la capitale, une association l’a pris en charge. “Ils nous conseillaient. Ils cherchaient quelqu’un qui parlait anglais.” ​C’est cette faculté qui a mené Sadiqullah à Rennes, puis à Pontivy.

Depuis le début des années 2000, la capitale centre-bretonne abrite un centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada). L’institution, discrète, est installée dans un ancien couvent, à deux pas du château médiéval de Pontivy.

Ici, ceux qu’on appelle“« les migrants »” ​ne font que passer, pour prendre des cours de français, voir leurs assistants sociaux, être accompagnés. Ils sont hébergés ailleurs, dans des appartements en ville, souvent à plusieurs. Ils n’ont pas le droit de travailler, à moins de trouver un patron qui leur ferait une promesse d’embauche ; ils touchent une allocation de 6, 80 € par jour.

Le rendez-vous de la dernière chance

Qu’ils obtiennent ou non l’asile politique ou le statut de réfugié, près de 200 étrangers vont, comme Sadiqullah, passer au minimum six mois dans le Morbihan. Pour le père de famille afghan, l’attente, qui aura duré deux ans et demi, va enfin prendre fin dans les jours prochains. “J’ai rendez-vous à la Cour nationale du droit d’asile, à Montreuil, avec mon avocate.”

Instance de la dernière chance, ce tribunal tient l’avenir du trentenaire entre ses mains. Dans un mois, s’il obtient l’asile politique, Sadiqullah espère redevenir prof d’anglais et faire venir sa femme et ses enfants en France. “Pour moi, l’Afghanistan, c’est fini. À Pontivy, pour la première fois depuis très longtemps, je me sens en sécurité.”