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Algérie : « Au vent mauvais », de Kaouther Adimi
Book presentation
vendredi 2 septembre 2022, par
Source : https://www.seuil.com/ouvrage/au-vent-mauvais-kaouther-adimi/9782021503562
Littérature française
Au vent mauvais
Kaouther Adimi
Leïla, Tarek et Saïd grandissent dans un village de l’est de l’Algérie, au début des années 1920. La première, mariée très jeune contre son gré, décide de se séparer et retourne chez ses parents, avec son fils, dans la réprobation générale. Tarek est un berger timide et discret. Saïd, lui, vient d’une famille plus aisée et poursuit des études à l’étranger. Tous deux sont secrètement amoureux de Leïla.
La Seconde Guerre mondiale envoie les hommes au front, ils se perdent de vue. Saïd devient un homme de lettres. Tarek, rentré au village, épouse Leïla et adopte l’enfant. Trois filles suivront. Bientôt il rejoint la lutte pour l’indépendance, puis participe au grand tournage de La Bataille d’Alger, avant de partir travailler dans une usine, en région parisienne. Par une suite de hasards inattendus, il se retrouve gardien d’une magnifique villa à Rome, temps suspendu dans une trajectoire tourmentée.
Leïla, elle, connaît la vie des femmes rurales de cette époque. Cantonnée dans l’éducation des enfants et les tâches ménagères, elle décide d’apprendre à lire et à écrire.
Mais la publication du premier roman de Saïd vient bouleverser la vie du couple. Tarek doit rentrer au plus vite.
À travers les destins croisés de trois personnages, Kaouther Adimi dresse une grande fresque de l’Algérie, sur un siècle ou presque, de la colonisation à la lutte pour l’indépendance, jusqu’à l’été 1992, au moment où le pays bascule dans la guerre civile.
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Date de parution 19/08/2022
19.00 € TTC
272 pages
EAN 9782021503562
Vidéo ici« Au vent mauvais », Kaouther Adimi - éditions du Seuil
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Source : https://www.lejdd.fr/Culture/la-romanciere-kaouther-adimi-la-litterature-est-dangereuse-4130584
La romancière Kaouther Adimi : « La littérature est dangereuse »
11h00 , le 31 août 2022
ParMarie-Laure Delorme
De 1920 à 1992, une femme et deux hommes tentent de survivre en Algérie
Photo : Kaouther Adimi, en juin à Paris. (SERGE PICARD POUR LE JDD)
Elle suit le destin d’une femme (Leïla) et de deux hommes (Tarek et Saïd) sur un siècle d’histoire de l’Algérie. La romancière Kaouther Adimi, née à Alger en 1986, surprend par une fresque intense sur ce que les guerres font aux hommes : de l’irrémédiable. L’auteure s’y livre aussi à une réflexion sur la littérature, à travers des personnes meurtries de devenir des personnages. Kaouther Adimi restitue les rêves et les chutes des vies âpres, courageuses, obscures. La lumière survient, mais jamais là où on l’attend.
Pourquoi avoir dédié Au vent mauvais à vos grands-parents ?
Ils ont, en partie du moins, inspiré ce roman, et j’avais le souhait de le leur dédier comme un hommage. L’explication est à la fin du livre et je tenais à ce qu’elle soit là, pour ne pas l’inscrire comme une justification de l’écriture mais plutôt comme un questionnement profond sur ce que peut et ce que fait la littérature, et le lien parfois trouble entre la fiction et la réalité.
Quel usage y faites-vous de la fiction ?
Le réel et la fiction se sont entremêlés tout au long de l’écriture mais j’avais fait le choix dès le début de m’accorder toute liberté de création, au sens où il s’agissait d’un roman, d’une fiction. J’ai imaginé et « fabriqué » des personnages, j’ai changé tous les noms, construit une structure, dessiné des trajectoires, imprimé un style. C’est une fiction mais qui ne serait pas à opposer à la réalité puisque j’ai puisé dedans, sans savoir d’ailleurs par moments si mes souvenirs étaient réels et à quel point ils étaient transformés, inventés… Utiliser la fiction plutôt que la réalité me donne une liberté absolue, une possibilité d’emmener mes personnages où je veux, le plus loin possible.
La littérature transforme, nourrit, libère, mais lorsqu’elle use et abuse du réel, elle emprisonne
La littérature peut-elle être dangereuse ?
Elle l’est assurément mais c’est un danger nécessaire et salvateur : la littérature transforme, nourrit, libère, mais lorsqu’elle use et abuse du réel, elle emprisonne. Je crois me souvenir que c’est Emmanuel Carrère qui a raconté cette anecdote au sujet de Charles Dickens qui, après le début de la publication de David Copperfield dans les journaux de l’époque, a reçu un courrier d’une coiffeuse qui s’était reconnue dans le personnage de Miss Mowcher, une petite dame, coiffeuse elle aussi, fourbe, un personnage très négatif. Cette dame lui racontait son désarroi, beaucoup de personnes dans son entourage étaient persuadées qu’elle était cette Miss Mowcher. Le personnage de fiction et la coiffeuse avaient fusionné. C’est ce qui arrive à Tarek et Leïla, le couple a le sentiment d’avoir été effacé au profit du livre écrit par Saïd. Dans Nos richesses, j’ai raconté comment la littérature avait été une boussole pour Edmond Charlot qui avait côtoyé les plus grands noms de la littérature française du XXe siècle, mais si la littérature peut sauver, elle peut aussi être un vent mauvais. C’est ce que raconte ce livre, une histoire où la trajectoire des personnages est déviée par la littérature. Les deux livres forment en quelque sorte un diptyque, résonnant l’un pour l’autre et se répondant, tout en racontant des histoires très différentes.
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Vous êtes-vous beaucoup documentée pour l’écriture d’Au vent mauvais, roman sur l’Algérie ?
Pour certaines parties oui, comme cet épisode méconnu survenu en décembre 1944 à Versailles, au cours duquel des soldats nord-africains se révoltent après l’arrestation de trois d’entre eux. J’avais lu un article qui mentionnait cet épisode et j’ai plongé dans les archives départementales de la police. Je me suis aussi beaucoup documentée su le tournage du film de Pontecorvo La Bataille d’Alger, non pas avec l’idée de raconter simplement un événement mais pour essayer de restituer ce que pouvait être un tel tournage au lendemain de l’indépendance, pour les habitants d’Alger qui assistaient ou rejouaient des scènes de bombardement, de guerre et de torture. Je n’ai pas eu à faire des recherches sur les années 1990 et la montée de l’islamisme en Algérie, ces années-là font partie de ma vie.
Paris a été la ville où je me suis réfugiée après la guerre civile, un lieu qui m’a réconciliée avec la nuit
Avez-vous voulu donner à votre roman une portée politique ?
C’est un roman sur les trajectoires, sur ceux qui ne peuvent rien face au pouvoir de la littérature, aux grands artistes, c’est un roman sur la honte et sur la guerre, et sur ce qu’elles vous font, qui questionne le pouvoir des écrivains, sommes-nous libres de faire ce que nous voulons ? En cela, oui, c’est un roman à portée politique. Enfin, Au vent mauvais, comme tous mes romans, paraîtra également en Algérie aux éditions Barzakh, et dans le contexte actuel de l’Algérie où un certain nombre de journalistes, d’écrivains, d’hommes et de femmes politique et de citoyens sont malmenés ou poursuivis pour leurs opinions, toute écriture me semble politique et nécessaire. Et, malheureusement, non pas sans danger.
À travers Leïla, racontez-vous l’émancipation des femmes ?
L’émancipation, le désir de liberté, le courage et la colère. Leïla est le seul personnage à prendre la parole en utilisant le « je ». Au milieu du roman, la narration bascule, et dans un chapitre à part, Leïla raconte, se redresse, règle ses comptes avec les hommes et la société, avec son mari aussi, et elle prend le pouvoir. C’est une femme très forte et courageuse – elle quitte son premier mari à une époque où cela n’est ni accepté ni admis et alors même qu’elle a un enfant avec lui –, elle est maîtresse de son destin, décide d’apprendre à lire, agacée que les présidents algériens ne s’intéressent qu’aux jeunes et aux hommes mais ne s’inquiètent pas du sort des femmes.
Alger, Paris, Rome sont présents dans votre roman. Quel est, dans chacune de ces villes, votre endroit préféré ?
J’aime, à Alger, la route qui mène vers la plage, l’hiver, l’automne, quand il n’y a personne, si ce n’est les amis de toujours. Paris a été la ville où je me suis réfugiée après la guerre civile, un lieu qui m’a réconciliée avec la nuit. Mon endroit préféré est peut-être tout simplement mon chez-moi, qui donne sur un café kabyle où j’ai mes habitudes. Rome a été une parenthèse très étrange, très forte. En quittant la ville, j’ai pensé : « J’ai adoré, j’ai détesté, je reviendrai. »
Les années 1990 ont été effroyables et ont assurément façonné en quelque sorte la personne et l’écrivaine que je suis devenue
L’amour et la guerre sont au centre d’Au vent mauvais. Pensez-vous la guerre plus forte que tout ?
Je pense que la guerre vous transforme de manière irréversible, qu’elle vous accompagne et qu’on passe donc le reste de sa vie à cohabiter avec ses fantômes. Les années 1990 ont été effroyables et ont assurément façonné en quelque sorte la personne et l’écrivaine que je suis devenue.
Vous pratiquez l’art de l’ellipse. Le silence est-il primordial en littérature ?
Je crois au silence, au temps long et à l’absence. Saïd est un personnage qui disparaît et son absence plane sur le couple, comme une présence maléfique tout au long du livre. Tarek est absent pour Leïla et Leïla pour Tarek, mais si cette absence crée une distance dans le couple, elle permet aussi à chacun d’entre eux de se découvrir.