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France : Tenues religieuses à l’école : « Les établissements scolaires attendent des directives sans ambiguïté ! »
mercredi 28 septembre 2022, par
Tenues religieuses à l’école : « Les établissements scolaires attendent des directives sans ambiguïté ! »
Entretien
Propos recueillis par Marie-Estelle Pech
Publié le 27/09/2022 à 15:37
Proviseur du lycée Guist’hau à Nantes, dirigeant de ID-FO, syndicat de chefs d’établissements, Franck Antraccoli fait état d’un phénomène croissant dans plusieurs académies, de Lille à Bordeaux : celui du port de l’abaya (robe ample couvrant l’ensemble du corps à l’exception du visage, des pieds et des mains) chez les jeunes filles. Et déplore le discours flou du ministère.
Marianne : Vous faites état d’une montée récente du port des abayas chez les jeunes filles et, dans une moindre mesure du kamis (longue robe) chez les garçons. Comment le quantifiez-vous ?
Franck Antraccoli : Après avoir réuni les secrétaires académiques de notre syndicat, mi-septembre, nous nous sommes rendu compte que le sujet du port de l’abaya ressortait avec une force accrue depuis juin dernier et que ça continue de plus belle en cette rentrée. C’est un phénomène croissant que font remonter nos chefs d’établissements, notamment dans les académies de Dijon, Lille, Paris, Créteil, Versailles et Bordeaux. Il ne s’agit pas d’un phénomène massif mais ça touche beaucoup d’établissements, tant en ville que dans les zones rurales, dans des collèges comme dans des lycées. Selon les établissements, vous avez deux, trois, cinq ou dix filles qui se présentent quotidiennement habillées en abayas. Le port du kamis est également signalé chez des lycéens mais l’augmentation est moindre.
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Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale avait répondu, en juin attendre d’en savoir plus sur un plan statistique. Vous lui reprochez d’être attentiste ?
Les statistiques ne peuvent être précises car nos collègues sont loin de faire des signalements à chaque port d’abaya ! Le ministre avait aussi indiqué, en guise de réponse : « On procède localement, avec l’expérience et le bon sens des équipes pédagogiques. Cela peut aller jusqu’au conseil de discipline si la tenue s’inscrit dans une démarche religieuse et contrevient à la loi de 2004. On négocie aussi avec les jeunes. Car, quand on est ado, on aime provoquer. La tenue ne signifie pas nécessairement un engagement dans une démarche religieuse. » La réponse nous semble bien peu à la hauteur des attentes des chefs d’établissements confrontés à ce problème qui ne s’est pas atténué depuis la rentrée, bien au contraire. Nous ne pouvons pas traiter ce type de situation uniquement par « le bon sens des équipes » : ce sont des directives claires qu’attendent les personnels de direction pour savoir si ce genre de tenue est autorisé dans les établissements ou pas. Nous sommes attachés à une laïcité respectueuse des droits mais aussi des devoirs de chacun et nous attendons un positionnement clair, précis, sans ambiguïté, pour ne pas, encore une fois, laisser seuls les personnels de direction sur le terrain. Ceci dit, le ministère n’est pas sourd à cette thématique. On en discutait encore cette semaine avec eux. Ils sont attentifs à ce sujet.
Pourtant, la rue de Grenelle a réagi dernièrement. En août, le pôle national « Valeurs de la République » du ministère a adressé des notes aux rectorats sur le port de tenues « ostensiblement » religieuses.
Seul le recteur de Dijon a relayé cette alerte de façon, je dirais, très neutre. Il appelle au respect ferme de la loi de 2004 mais cette dernière étant imprécise sur le sujet, de même que tous les textes du ministère, nous ne sommes guère plus avancés.
Comment les chefs d’établissements se débrouillent-ils aujourd’hui avec ce phénomène ?
Comme il n’y a pas de directive claire, d’un établissement à l’autre, parfois distants d’à peine cent mètres les uns des autres, la pratique peut être très différente. Vous avez des chefs d’établissements qui demandent aux élèves d’enlever ce vêtement ou de revenir habillées différemment, d’autres qui les laissent passer sans rien dire. La loi de 2004 n’en dit rien. Sont-ce des vêtements religieux ou non, ostentatoires ou non ? Lorsque nous demandons à nos recteurs, on nous répond parfois de vérifier si le port de cette tenue est ponctuel ou répété – ce qui peut laisser penser à une tenue religieuse – et de vérifier la récurrence du port de ce vêtement pendant plusieurs jours à l’entrée de l’établissement. Et d’opter pour le cas par cas. Ce n’est pas praticable quand vous avez dix adolescentes dans ce cas, chaque matin.
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Comment ces jeunes filles qui portent l’abaya l’expliquent-elles ?
Elles affirment, bien sûr, que ce n’est pas religieux, que c’est à la mode, comme le crop top, en quelque sorte. Et que ça leur rappelle leurs racines, leur origine. C’est la tradition, en gros, selon elles. Les réseaux sociaux, comme TikTok promeuvent ces tenues et ont aussi sans doute une influence…