Subscribe to Secularism is a Womens Issue

Secularism is a Women’s Issue

Accueil > fundamentalism / shrinking secular space > France : À la fac, ces jeunes hérauts de la laïcité qui vivent sous les (...)

France : À la fac, ces jeunes hérauts de la laïcité qui vivent sous les injures

samedi 1er octobre 2022, par siawi3

Source : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-la-fac-ces-jeunes-herauts-de-la-laicite-qui-vivent-sous-les-injures-20220901

À la fac, ces jeunes hérauts de la laïcité qui vivent sous les injures

Par Paloma Auzeau

Publié le 01/09/2022 à 18:49, Mis à jour le 01/09/2022 à 21:58

ENQUÊTE - L’assassinat du professeur Samuel Paty ou l’attentat contre « Charlie Hebdo » ont provoqué un déclic en eux. Malgré leur jeune âge, ils se sont engagés pour défendre la laïcité et, plus largement, les valeurs républicaines. Au risque de vivre un quotidien jalonné de menaces et d’agressions.

« On va s’occuper de toi », « on espère que tu vas avaler de l’acide », « tu ferais mieux de ne pas te retrouver dans la rue avec un torchon de Charlie Hebdo »… Voici un bref aperçu des messages qu’ont pu recevoir Floriane Gouget, étudiante de 20 ans, et Martin Lom, lycéen de 17 ans, sur les réseaux sociaux. Tous les deux sont de jeunes militants au parcours de vie différent mais qui se retrouvent autour du même combat : la défense de la laïcité et, plus largement, des valeurs républicaines comme « la liberté d’expression, de caricaturer et de blasphémer ».

Dans un contexte qui voit « la réapparition d’un fanatisme religieux depuis la fin des années 1980, avec la fatwa lancée contre l’écrivain Salman Rushdie, ainsi que le retour des revendications politiques liées à la religion », analyse le philosophe Henri Peña-Ruiz, le combat pour la défense de la laïcité a été ébranlé. En témoignent les vagues de haine que reçoivent les militants laïcs en France depuis plusieurs années.

Un inquiétant constat

L’engagement public de Floriane Gouget intervient en 2020 lorsqu’elle publie sur son compte Instagram un message de soutien à Mila, jeune femme de 16 ans accusée de blasphème et harcelée sur les réseaux sociaux. « J’étais très étonnée que ce soit aussi tabou de la soutenir alors que les insultes à son encontre ne l’étaient pas », se souvient Floriane. S’ensuit alors un torrent d’injures et de menaces : « On m’insulte de raciste, de fasciste, d’islamophobe. On me menace physiquement. En une heure, j’ai reçu plus d’une centaine de messages sur Instagram. » En 2021, son adresse postale est publiée sur les réseaux sociaux. Depuis, elle dépose plainte au moins une fois tous les deux mois pour les menaces qu’elle reçoit. « J’ai arrêté de compter ! », dit-elle en riant pour tenter de dédramatiser.

À VOIR AUSSI - Obscurantisme : « Il y a une emprise du religieux qui s’étend à nouveau sur les esprits », selon Carine Azzopardi

Un an après l’assassinat de Samuel Paty, les profs toujours contraints à l’autocensure : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/un-an-apres-l-assassinat-de-samuel-paty-les-profs-toujours-contraints-a-l-autocensure-20211014

Elle n’a que 12 ans en 2015 mais elle comprend, avec l’attentat du 7 janvier contre la rédaction de Charlie Hebdo, « que les valeurs républicaines et la laïcité sont menacées, que rien n’est acquis et qu’il faut s’engager pour les protéger ». Son éveil politique se fait à ce moment-là. Pour Martin Lom, c’est l’assassinat du professeur Samuel Paty, en octobre 2020, qui provoque en lui un déclic. Le jeune bachelier devient un défenseur de la laïcité et est rapidement invité à participer à des conférences sur le sujet. Il sait que son militantisme peut être source de problèmes et supprime de l’annuaire son adresse postale, « par méfiance ».

Une méfiance que partage Mathys Dupuis, étudiant de 21 ans et cofondateur, avec Floriane Gouget, de l’association pro-laïcité Dernier Espoir. « Au début, j’avais le numéro de la police programmé dans mon téléphone, au cas où, explique le jeune homme. Maintenant, j’ai arrêté d’avoir peur et je vis ma vie. Tant pis s’il arrive quelque chose. »

Laïcité : cachez ce sondage… : https://www.lefigaro.fr/actualite-france/laicite-cachez-ce-sondage-20211217

Dernier Espoir, qui a fêté ses deux ans en juillet dernier, se sait visée et ne compte plus les campagnes de cyber-harcèlement à son encontre. L’association avait d’abord fait des questions sociales son cheval de bataille, avant de s’engager plus fortement pour la défense de la laïcité. « La laïcité n’était pas le premier sujet. On défendait des valeurs humanistes ainsi que les droits des personnes handicapées. Puis, il y a eu l’actualité terrible de 2020 avec l’assassinat de Samuel Paty, en octobre, et le procès des attentats de janvier 2015. Il était pertinent qu’en tant qu’association jeunesse on se penche sur ces sujets », explique Floriane Gouget, aujourd’hui présidente de l’association. Un concours de caricatures sur les religions est organisé par Dernier Espoir qui, en août 2021, dévoile son projet phare : faire baptiser un amphithéâtre de la Sorbonne « Charb », en hommage à l’ancien dessinateur et rédacteur en chef de Charlie Hebdo, assassiné lors de l’attentat du 7 janvier 2015. Aux origines de cette proposition se trouve un inquiétant constat : « Dans nos universités, une partie de la jeunesse qui se montre hostile à la liberté d’expression et voudrait censurer des intervenants, des pièces de théâtre, des rencontres », écrit Dernier Espoir dans son dossier de présentation. Selon elle, l’initiative permettrait ainsi d’ouvrir le débat dans la communauté étudiante sur les valeurs républicaines et universalistes parfois incomprises, voire rejetées.

Une vague de haine

Il aura fallu toutefois attendre un an pour que l’association puisse présenter officiellement son projet à l’université parisienne. En effet, le 25 août, Floriane Gouget, accompagnée de l’ancienne RH de Charlie Hebdo, Marika Bret, a rencontré le président des Étudiants de Sorbonne Université. L’objectif, pour Dernier Espoir, est de recevoir le soutien de l’université avant d’obtenir un rendez-vous avec la chancellerie des universités de Paris, responsable du nom donné aux amphithéâtres.

Le projet « Amphi Charb » a reçu le soutien de plusieurs personnalités politiques et médiatiques telles que l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, de l’essayiste Caroline Fourest ou encore du philosophe Raphaël Enthoven. Il aura aussi valu à Dernier Espoir, ainsi qu’à Floriane Gouget, d’essuyer une vague de haine sur les réseaux sociaux, qui s’est rapidement illustrée dans la vie quotidienne. « Dans les toilettes de la Sorbonne, où j’étudie, on retrouve des tags“Floriane islamophobe dégage”. J’ai aussi été exclue des groupes de discussion WhatsApp et Facebook de ma classe. Et puis, je me fais insulter régulièrement dans la rue ou dans les transports », rapporte la jeune femme de 20 ans.

Ces jeunes militants ressentent un fort décalage avec leur génération sur le sujet de la laïcité. Comme s’ils étaient à contre-courant de leur époque. « C’est devenu has been de défendre la laïcité et la République », affirme Mathys Dupuis. Selon Henri Peña-Ruiz, il y a « une immense méprise d’une certaine jeunesse qui s’insurge contre le principe de laïcité alors qu’elle ne le connaît pas. Il faut lire ne serait-ce que les deux premiers articles de la loi de 1905 pour comprendre que la laïcité est émancipatrice et non un symbole d’oppression ».

Éric Anceau : « La laïcité à la française fournit une réponse à toutes les questions religieuses » : https://www.lefigaro.fr/vox/societe/eric-anceau-la-laicite-a-la-francaise-fournit-une-reponse-a-toutes-les-questions-religieuses-20220114

Une « méprise » qu’illustrent bien les résultats de l’enquête Ifop-Licra-DDV de mars 2021 auprès des lycéens sur la place de la laïcité à l’école et dans la société. On y apprend que 37 % des lycéens sondés considèrent les lois de 1905 et de 2004 (sur l’interdiction du port de tenues et de signes religieux ostentatoires à l’école, NDLR) comme des lois discriminatoires à l’encontre des musulmans. « Le problème est que, à l’école, on ne montre pas concrètement, par manque de temps et de moyens, à quoi correspond la laïcité dans la vie de tous les jours », avance Mathys Dupuis. Le manque de connaissances participe à cette confusion et, par extension, ne fait qu’alimenter la haine contre les militants laïcs.

Un climat délétère

Ce constat est partagé par Maxime Loth, 19 ans, porte-parole de la section Sciences Po Paris du Printemps républicain, mouvement politique qui œuvre pour la défense de la laïcité. « On a créé la section en octobre 2021, car on a remarqué que toutes les valeurs républicaines, dont la laïcité, sont mal interprétées par les étudiants de Sciences Po », souligne-t-il. La volonté de remettre le sujet au cœur du débat n’a, semble-t-il, pas porté les fruits attendus… Car la section ainsi que Maxime Loth sont très régulièrement visés sur les réseaux sociaux par des insultes (« islamophobe », « raciste »), certaines provenant de leurs camarades de la grande école parisienne. Maxime Loth évoque même une agression visant des militants de sa section. Lors d’un tractage en novembre dernier, ils auraient été bousculés par des membres du syndicat Solidaires, qui se revendique « antifasciste ». Agression démentie dans la foulée par un communiqué de Solidaires qui a accusé en retour le « Printemps républicain de mentir ».

Le climat délétère actuel, où tout dialogue de fond et nuancé est devenu impossible et où l’anathème est devenu prédominant, frappe de plein fouet les militants laïcs. Tous déplorent la prééminence des insultes et l’absence de débat. Henri Peña-Ruiz, qui déplore cette situation, trouve toutefois rassurant de voir que des jeunes sont « vigilants et dotés d’un esprit critique » et « qu’ils décident de se battre pour la défense des valeurs républicaines ». Mais les quatre militants partagent une certaine inquiétude, voire du pessimisme, pour l’avenir de leur combat. « Il y a des jeunes au clair sur le sujet de la laïcité et qui sont prêts à continuer la bataille, sauf qu’aujourd’hui nous sommes très peu et très isolés », conclut Maxime Loth.

À VOIR AUSSI - Islamisme : le témoignage choc d’un prof condamné à l’anonymat