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Iran : Shirin Ebadi : « Cette fois-ci, c’est la dictature théocratique qui est mise en cause en Iran »

vendredi 7 octobre 2022, par siawi3

Source : https://www.lefigaro.fr/international/shirin-ebadi-cette-fois-ci-c-est-la-dictature-theocratique-qui-est-mise-en-cause-en-iran-20221007


Shirin Ebadi : « Cette fois-ci, c’est la dictature théocratique qui est mise en cause en Iran »

Par Eugénie Bastié

Publié le 7.10.22 il y a 2 heures, Mis à jour il y a 2 heures

ENTRETIEN - L’avocate iranienne, qui s’était vu décerner le prix Nobel de la paix en 2003 pour sa défense de la démocratie et des droits des femmes, analyse les ressorts du mouvement de protestation qui secoue actuellement le pays.

LE FIGARO. - Comment décririez-vous le mouvement de protestation actuel ? Est-ce une révolte féministe, une révolution politique ?

Shirin EBADI. - D’abord, il s’agissait d’une protestation face à l’assassinat d’une jeune femme, Masha Amini. Mais très vite, cela a pris une autre tournure, une coloration politique. Aujourd’hui, c’est un désir collectif, populaire, d’une seule voix : nous ne voulons plus de ce régime.

Pourquoi les femmes sont-elles au cœur de ce mouvement ?

Il faut comprendre pourquoi le slogan « Femmes, vie, liberté ! » est devenu la devise de ce mouvement. Cela fait des années que le peuple iranien est fatigué de cette dictature théocratique et aspire à une démocratie laïque. C’est uniquement sous un tel régime que les femmes pourront bénéficier de droits égaux aux hommes et que tout citoyen pourra être assuré que sa vie soit respectée. Le voile est l’une des épreuves auxquelles sont confrontées les femmes iraniennes : c’est l’arbre qui cache la forêt des discriminations légales à l’égard des femmes en Iran.

Iran : face à la révolte, le régime choisit la fuite en avant : https://www.lefigaro.fr/international/iran-face-a-la-revolte-le-regime-choisit-la-fuite-en-avant-20221007

Citons par exemple l’âge légal du mariage, qui était à 18 ans sous les Pahlavi et a été abaissé à 13 ans par la République islamique. Les lois matrimoniales sont extrêmement inégalitaires : un homme peut être polygame, avoir jusqu’à quatre épouses, peut divorcer sans justification, alors que pour une femme, c’est très complexe, voire impossible. Une femme mariée n’est pas autorisée à voyager sans un permis écrit de son mari. Sur le plan légal, la vie d’une femme vaut la moitié de la vie d’un homme : c’est-à-dire que si j’ai un accident de voiture avec mon frère, l’indemnité pour mon frère serait deux fois supérieure à la mienne. Devant un tribunal, le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes. En contraste de toute cette série de lois discriminatoires à l’égard de la femme, 60 % des étudiants sont des étudiantes. Il est donc bien normal que les femmes ne supportent plus ce cadre légal et se révoltent.

Vous avez été la première femme nommée présidente du tribunal de grande instance de Téhéran en 1975, avant d’être démise par la révolution islamique en 1979. Comment était la situation des femmes sous le chah ?

En effet, avant la révolution, les femmes bénéficiaient d’une situation légale plus enviable. Elles ont obtenu le droit de vote en 1963, donc des représentantes à l’Assemblée nationale avant les femmes suisses. Il n’y avait cependant pas autant de femmes qui avaient accès à l’éducation supérieure, car il y avait moins d’universités. Mais les femmes ont petit à petit pris ce pouvoir qui leur a été laissé, celui de s’éduquer. Des familles traditionnelles ont laissé leurs filles aller à l’université et elles se sont émancipées. Mais ce niveau d’éducation supérieure ne se retrouve pas sur le marché du travail. Quand on regarde les chiffres du chômage des personnes diplômées, il y a trois fois plus de femmes que d’hommes.

Comment jugez-vous la réaction - politique et policière - du régime ?

La seule chose qui compte aux yeux du régime est de se maintenir au pouvoir coûte que coûte et il n’a aucun scrupule sur le nombre de victimes. Regardez ce qui s’est passé à Zahedan (ville au sud-est de l’Iran, NDLR). La population a su qu’un commandant de la police des forces sécuritaires avait violé une jeune fille de 15 ans. Cet événement a déclenché la colère de la population locale. Ils ont publié un communiqué disant qu’ils demandaient l’autorisation de manifester le vendredi après la prière pour protester. Le vendredi venu, avant que la prière se termine, les jeunes ont défilé dans la rue, en s’insurgeant contre le régime en place qui autorisait de telles atrocités. Aussitôt qu’ils ont prononcé ce genre de slogan, il y a eu des tirs depuis le haut des immeubles ou des snipers avaient été installés. En l’espace de deux heures il y a eu 80 morts et 300 blessés graves. Ce degré de violence est le signe d’un régime qui veut coûte que coûte garder le pouvoir.

Il y a déjà eu plusieurs mouvements de révolte contre le régime des mollahs. En quoi est-ce différent aujourd’hui ?

La grande différence est que toutes les protestations passées avaient un axe de réclamation spécifique. En 2009, le mouvement protestait contre le trucage des élections. En 2019, c’était le motif économique : l’inflation galopante. Cette fois-ci, la population est très claire : ce n’est pas une demande particulière mais le régime même qui est en cause. Ils n’en veulent plus. Une autre nouveauté, c’est la jeunesse : on voit des lycéennes, des collégiennes qui protestent !

Le régime est-il réformable ou doit-il selon vous être renversé ?

Je pense que tous les chemins de la réforme ont déjà été parcourus, toutes les pistes ont été tentées. Le peuple iranien a conscience que ça n’a pas abouti. Les Iraniens constatent l’irréformabilité de ce régime, et expriment le souhait de le voir renverser.

En Iran, les jeunes déterminés à abolir le régime des mollahs : https://www.lefigaro.fr/international/en-iran-les-jeunes-determines-a-abolir-le-regime-des-mollahs-20221007

Y a-t-il des voix libérales en Iran capables d’incarner un renouveau ?

On ne peut pas déterminer des leaders démocratiques a priori. Une fois que le régime sera renversé, il pourra se tenir des élections libres. Et là, émergeront des représentants.

L’Occident doit-il aider davantage les révoltés iraniens ?

Les gouvernements occidentaux se contentent de parler. Ils prétendent soutenir le peuple iranien, mais nous attendons des actes. J’ai des actes précis à suggérer pour venir concrètement en aide. Tout d’abord les relations diplomatiques avec l’Iran : il faudrait que les gouvernements occidentaux retirent leurs ambassadeurs d’Iran et se limitent à une relation consulaire, comme ils l’ont fait par le passé lors de précédentes révoltes. Ensuite, il faut savoir que la propagande - via des chaînes d’information satellitaires - participe à la répression exercée par le régime. Il faudrait le priver d’accès à ces satellites.

Avez-vous de l’espoir ?

Je sais que le peuple iranien vaincra. Si cette fois la répression est encore telle que le régime se maintient coûte que coûte, ça ne durera pas. Quand il y a un tel fossé entre un gouvernement et son peuple, quand il y a ce degré de mécontentement et de ras-le-bol, ça ne peut pas tenir. Si les manifestations sont réprimées cette fois-ci encore, elles reprendront et finiront par venir à bout de ce régime.