Accueil > fundamentalism / shrinking secular space > France : Laïcité - Rassemblement pour le port de l’abaya devant un lycée de (...)
France : Laïcité - Rassemblement pour le port de l’abaya devant un lycée de Clermont : que s’est-il vraiment passé ?
vendredi 28 octobre 2022, par
Rassemblement pour le port de l’abaya devant un lycée de Clermont : que s’est-il vraiment passé ?
Laïcité
Par Ella Micheletti
Publié le 21/10/2022 à 17:26
Mercredi matin, une centaine de militants de l’Unef et de la Voix lycéenne se sont rassemblés devant le lycée Ambroise-Brugière, à Clermont-Ferrand pour soutenir la « liberté vestimentaire » des filles. En toile de fond : la problématique des tenues religieuses comme les abayas, que les acteurs locaux tentent de régler par le dialogue, tout en préservant la laïcité.
« Je n’accepterai jamais la moindre compromission sur ce sujet », a tonné mercredi 19 octobre Laurent Wauquiez, le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Une réponse au rassemblement pour la « liberté vestimentaire » des filles organisé devant le lycée Ambroise-Brugière de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Entre revendications communautaristes dont se défend l’Unef dans un communiqué et récupérations politiques, un nouvel exemple des crispations autour des tenus religieuses. Mais que s’est-il réellement passé ce matin-là ?
Quelles actions ?
Vers 7 h 30, mercredi matin, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant ce lycée public situé dans le nord de Clermont-Ferrand. L’événement était mené par des membres de l’Unef et de la Voix lycéenne. Des tracts ont été distribués et des poubelles ont été déposées devant le lycée « mais les élèves pouvaient se rendre en cours par une autre entrée. Ce n’était donc pas un vrai blocage », commence Richard Commeau, le proviseur qui tient à rétablir « des vérités » auprès de Marianne. Puis les poubelles en question « ont été récupérées par la commerçante à qui elles appartenaient », précise Lisa Thuaire, militante à l’Unef et administratrice au Crous, qui a participé au rassemblement.
À LIRE AUSSI : Aide aux devoirs et abayas : à Nanterre, la « situation délétère » du lycée Joliot-Curie
À 9 heures, les manifestants « étaient environ une centaine », raconte encore Richard Commeau. Ce dernier nous explique avoir reçu une « délégation d’une trentaine d’élèves vers 9 h 30 », mais « pas des militants de l’Unef et de la Voix lycéenne ». À suivi « dialogue serein autour des tenues au lycée. Nous avons rappelé la loi. », ajoute-t-il. Puis la journée a repris son cours normal.
Quelles revendications ?
Officiellement, le rassemblement avait pour but de défendre la « liberté vestimentaire » des filles au lycée Ambroise-Brugière. Mais, officieusement, il est bien question du port de tenues religieuses, les abayas, des robes amples et longues arrivant sous les chevilles, portées dans les pays musulmans du Moyen-Orient. Néanmoins, Richard Commeau et Lisa Thuaire sont clairs à ce sujet : il n’a jamais été question de soutenir le port du voile, contrairement à ce qu’a pu déclarer Laurent Wauquiez.
Depuis plusieurs jours, une nouvelle règle avait été édictée dans ce lycée. Elle imposait « à l’équipe pédagogique de signaler les élèves qui auraient pour habitude de porter des tenues amples, à caractère religieux, type « abaya » », relève France Bleu. Environ une dizaine de jeunes filles sur 1 300 élèves le portent occasionnellement à Ambroise-Brugière. « Hier (jeudi 20 octobre), aucune ne le portait par exemple », note le proviseur.
Lisa Thuaire évoque des « robes longues achetées chez h&m et portées par certaines lycéennes ». « Une robe n’est pas un signe ostentatoire pour moi, pas comme un voile. D’ailleurs, le terme ‘abaya’ n’a pas été employé ce matin-là, les filles qui portent ces robes ne les perçoivent pas forcément comme des abayas. Tout ce qu’on veut, c’est que les filles s’habillent comme elles souhaitent y compris pour le crop-top », soutient-elle à Marianne. Et quand on l’interroge sur le fondement religieux de ce vêtement, elle préfère y voir une simple manifestation « culturelle ».
Or, selon elle, des élèves se sentiraient « harcelées » par l’équipe pédagogique au sein de l’établissement, en raison de leurs tenues amples. Sur ce point, Richard Commeau rappelle qu’il n’y a eu « aucune sanction » de prise depuis la rentrée, et qu’il n’existe « aucun conflit avec des familles ». Mis à part « quelques remarques peut-être maladroites de professeurs, nous avons toujours géré ce sujet de façon pacifique, en privilégiant le dialogue. Mais nous devons appliquer les règles ».
Que disent les règles ?
Mi-septembre, le ministère de l’Éducation a noté une hausse des atteintes à la laïcité : 636 incidents rapportés pour le premier trimestre 2022. Sur les 313 atteintes de septembre, 54 % des signalements ont trait à des « signes et tenues » religieuses, alors qu’ils n’étaient que 41 % sur la période d’avril à juillet.
À LIRE AUSSI : Signes religieux, tenues… hausse des atteintes à la laïcité en septembre
En conséquence, le ministère a envoyé une note aux recteurs dans laquelle il est précisé : « Parfois leurs familles dénient fréquemment toute dimension religieuse au port » des abayas et des qamis, « mettant en avant leur caractère culturel ». Plus précisément, ces deux tenues peuvent être, au cas par cas, interdites « au regard du comportement » de l’élève, notamment si ce dernier se distingue par une « persistance du refus » de les ôter.
Un signal inquiétant ?
Concernant le rassemblement de mercredi à Clermont, Richard Commeau estime qu’il a finalement « fait un flop », car l’immense majorité des lycéens ne sont « pas rentrés dans le jeu de la récupération » de l’Unef et de la Voix lycéenne, et que les manifestants étaient en réalité très peu nombreux. « Nous n’avons fait qu’appuyer la demande d’une trentaine de lycéens qui étaient prêts à mettre en place ce rassemblement, nous les avons aidés pour la rédaction du tract et la logistique », se défend de son côté Lisa Thuaire.
À LIRE AUSSI : Grenoble, Notre-Dame, réunions en non-mixité... : l’Unef en 6 polémiques
Olivier Bianchi (PS), maire de Clermont-Ferrand, rejoint quant à lui le proviseur du lycée. Lui-même, ancien président de l’Unef Auvergne, estime que le syndicat étudiant « ferait mieux de se battre contre la paupérisation des étudiants plutôt qu’en faveur du communautarisme vestimentaire ». « Ils sont les idiots utiles des islamistes. C’est déjà difficile pour les chefs d’établissement. Dans une société qui se radicalise, on a le choix : soit on rappelle les règles de la République et de la laïcité, calmement, soit on jette de l’huile sur le feu », ajoute l’édile.
Le dialogue est la stratégie que Richard Commeau affirme continuer de privilégier après les vacances scolaires qui débutent ce vendredi soir. Il entend « créer un espace de discussion avec les élèves et faire un point chaque semaine avec eux », au sujet des tenues controversées.