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Présidentielle : le silence de Jair Bolsonaro après sa défaite tient le Brésil en haleine
mardi 1er novembre 2022, par
Présidentielle : le silence de Jair Bolsonaro après sa défaite tient le Brésil en haleine
Trump tropical
Par Anne Vigna , correspondante au Brésil
Publié le 01/11/2022 à 18:23
Des partisans déterminés à bloquer le pays, un président sortant toujours silencieux et des possibles héritiers aux aguets pour prendre la place : le Brésil est rivé aux lèvres du vaincu de la présidentielle, Jair Bolsonaro, toujours muet. Mais cette situation ubuesque pourrait à terme devenir dangereuse.
Depuis la défaite de Jair Bolsonaro, le chef d’État sortant, au second tour de la présidentielle ce dimanche 30 octobre, ses partisans bloquent des routes dans la majorité des États brésiliens. Les enregistrements audios échangés dans les groupes Telegram qui réunissent des milliers de personnes, parlent d’une même voix : « Il faut que le pays soit suffisamment bloqué pour que les forces armées interviennent et prennent ainsi le pouvoir. En avant, patriote ! ». Dans la logique des partisans de Jair Bolsonaro, leur héraut ne doit pas s’exprimer et surtout ne pas reconnaître sa défaite. « S’il le fait, il va faire baisser la motivation », selon un message. Ces dernières 24 heures, les blocages ont atteint vingt États sur les 27 que compte le pays, et la circulation entre les métropoles de Rio de Janeiro et São Paulo est interrompue, ce qui provoque de gigantesques embouteillages.
Pendant ce temps, dans son palais de verre, le président reste muet. Pas un mot à la presse qui campe devant ses fenêtres, pas un seul message sur ses réseaux sociaux. Du jamais vu. Jair Bolsonaro devient le premier président de l’histoire du Brésil à ne pas reconnaître sa défaite. Toute la journée du 31 octobre, ses ministres ont tenté de l’approcher et lui faire entendre raison. En vain. Sur les groupes Telegram, des vidéos des blocages s’accumulent et les messages qui félicitent le président pour « ne pas se rendre, surtout ne pas parler » s’accumulent. Certains élus ont cependant décidé de jouer le jeu de la démocratie. Sénateur de l’État du Rio Grande do Sul, Hamilton Mourão a téléphoné à Geraldo Alckmin, le vice-président de Lula, le chef d’État nouvellement élu, pour lui offrir son aide afin de mettre en place la transition.
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Quelques heures plus tard, Tarcisio de Freitas, le nouveau gouverneur de São Paulo, ancien ministre des Infrastructures et fidèle de Jair Bolsonaro, a promis de travailler avec Lula. Une position qui lui a aussitôt valu d’être considéré comme un « traître ». D’autres figures du bolsonarisme ont en revanche flanché. C’est le cas de Nikolas Ferreira, député de 23 ans, le mieux élu du pays, qui dans un premier temps avait promis « une opposition féroce au gouvernement de gauche ». Après avoir été copieusement insulté, le jeune homme a aussitôt changé son fusil d’épaule, appelant lui aussi à la « résistance civile » : le blocage du pays.
Police pro-Bolsonaro
Trente-six heures après sa défaite, Jair Bolsonaro reste donc toujours muré dans son silence tandis que les blocages ont atteint la route qui relie l’aéroport international de São Paulo. Le juge Alexandre de Moraes, président du tribunal supérieur électoral, a aussitôt intimé la police à libérer les routes. Problème : une grande partie des forces de l’ordre sont aux côtés des manifestants pro-Bolsonaro. Pour l’instant, le président sortant, qui doit encore gouverner le pays jusqu’au 1er janvier, laisse faire. « Par cette attitude, on a l’impression qu’il veut montrer son pouvoir de nuisance pour s’éviter de futurs problèmes judiciaires, estime Mauricio Santoro, politologue et enseignant à l’Université de São Paulo. À l’heure actuelle, il semble se moquer de son futur politique. ». Une telle posture lui permet de fortifier sa base et de défendre son avenir proche.
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La grande peur de Jair Bolsonaro en perdant la présidence a toujours été de se retrouver en prison, au vu du nombre d’affaires judiciaires qui l’attendent. Selon plusieurs enquêtes sorties dans la presse, sa famille serait soupçonnée d’avoir acheté 51 biens immobiliers en liquide. Sans immunité, ces affaires devraient vite le rattraper, sans parler de sa responsabilité dans les morts de l’épidémie du Covid-19, aujourd’hui dans les dossiers de la Cour pénale internationale. En nourrissant ce fort pouvoir de nuisance symbolisé par un silence lourd de sens, couplé à une base motivée et instrumentalisée par ce mutisme, Jair Bolsonaro pourra toujours répéter dans un second temps « que le système est contre lui et que la justice veut l’attaquer ».
Succession
Si elle devait perdurer, une telle attitude ne serait pas sans conséquence majeure, souligne Mauricio Santoro. « Pour se protéger à court terme, Bolsonaro se range au côté de ses partisans les plus radicaux, mais il risque de perdre toute crédibilité politique, explique le politologue. Or, cette base radicale ne pèse que 20 à 25 % de son corps électoral. Pas plus. Aussi, pour tous ceux qui ont voté pour lui dans le simple but de faire barrage au Parti des travailleurs [le mouvement de Lula] mais qui défendent le jeu démocratique, Bolsonaro est d’ores et déjà hors-jeu. »
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Par ailleurs dans un tel contexte, les ambitieux pourraient vite prendre sa place, y compris dans son propre camp. À peine les résultats rendus, l’un de ses propres fils, le sénateur Flavio Bolsonaro, se voyait déjà en héritier du clan. « Merci à vous tous électeurs, levons la tête et n’abandonnons pas notre Brésil ! » a-t-il ainsi tweeté. Un message ambigu mais qui n’appelle nullement à l’insurrection. En coulisses, d’aucuns affirment que le fils pousserait son père à parler et à se retirer : une façon élégante de prendre sa place, avant que d’autres ministres ne le fassent.