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France : Violences faites aux femmes : une « justice privée » est-elle en train de se substituer à la justice pénale ?
jeudi 17 novembre 2022, par
Violences faites aux femmes : une « justice privée » est-elle en train de se substituer à la justice pénale ?
LA VÉRIFICATION - Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti dénonce ce mouvement qu’il observe dans le sillage des affaires visant Julien Bayou ou Adrien Quatennens, qui ont dû se défaire de leurs fonctions politiques, malgré l’absence de décision de justice.
« Il est temps de siffler la fin de la récréation (...) On est en train de créer une justice de droit privé qui n’a strictement aucun sens ». Depuis la Chancellerie, Éric Dupond-Moretti fulmine, scandalisé par les affaires Adrien Quatennens et Julien Bayou, qui se sont défaits de leurs fonctions politiques après des accusations publiques de violences faites aux femmes.
« C’est extraordinairement dangereux (...), certains se font dévorer par un monstre qu’ils ont contribué à créer », a déploré l’ancien avocat en référence à ces réseaux sociaux qui « ne peuvent pas être l’unique réceptacle sans filtre de cette parole ». « Il n’y a pas de code de déontologie mis en place par tel ou tel parti. Il y a la Justice et il y a un Code pénal », a-t-il conclu. Une justice que personne n’a jamais saisie dans ces récentes affaires : ni les victimes présumées, ni les mis en cause qui ont préféré prendre une décision politique plutôt que judiciaire.
Gage d’impartialité
Dans le même temps, au sein des partis, se déchaîne une créativité compulsive pour promouvoir des commissions déontologiques lavant plus blanc que blanc. « On ne peut pas être calé sur la justice. Nous devons avoir notre propre déontologie qui est différente du Code pénal. C’est le cas de beaucoup d’activités, de professions », a par exemple défendu l’ancienne ministre socialiste des droits des femmes Laurence Rossignol ce mardi matin au micro de France Info. Peut-on ainsi craindre qu’une justice privée, rendue sur les réseaux sociaux jusqu’en dans les partis, se substitue à la justice pénale ?
Les spécialistes du droit électoral, comme le professeur Romain Rambaud, regardent ce mouvement avec beaucoup de circonspection. « Rien ne dit que ces commissions soit un gage d’impartialité pour l’éternité », met en garde le professeur de droit public de l’Université de Grenoble, qui garde en mémoire quelques fiascos retentissant. Notamment celui de la « Cocoe », commission de contrôle des opérations électorales de l’UMP, qui s’était retrouvée « dans l’incapacité de dire » qui de François Fillon ou Jean-François Copé avait pris la tête du parti à l’issue des votes, en 2012.
Lire aussi : Avec Éric Dupond-Moretti à la Justice, Emmanuel Macron persiste et signe : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/avec-eric-dupond-moretti-a-la-justice-emmanuel-macron-persiste-et-signe-20220520
Romain Rambaud rappelle que « le juge judiciaire exerce son contrôle sur les partis politiques quand cela concerne le respect du débat contradictoire, des droits de la défense et de l’impartialité des procédures internes ». Mais pour le reste, « il est tout en retenue ». Ainsi un magistrat n’a pas vocation à juger si le comportement reproché à un homme politique s’oppose aux principes fondamentaux figurant dans les statuts de son parti. « Les partis politiques sont protégés par l’article 4 de la Constitution de 1958 qui leur garantit la liberté d’organisation. Un principe qui est interprété de manière très extensive et qui les laisse maître chez eux et de leurs statuts ». Passer par l’appareil législatif pour les obliger à préciser leurs procédures serait « ouvrir une boîte de Pandore pour bien d’autres pans de l’organisation des partis politiques. Et le législateur brandira très vite l’inconstitutionnalité d’une telle loi ».
Difficile également pour les partis politiques de caler leur dispositif sur la justice ordinale des grandes professions libérales comme les avocats, les notaires, les médecins ou les pharmaciens. Ceux-ci disposent de commissions de déontologie souvent multiples et de commissions disciplinaires aux procédures strictes, agissent « par délégation de l’autorité publique », rappelle Stéphane Fertier, qui dirige la Commission de déontologie du Barreau de Paris. « Notre code de déontologie fait 1000 pages, nous respectons les grands principes que sont le débat contradictoire, l’égalité des armes et se faire assister par quelqu’un. Il existe des voies de recours devant la Cour d’appel ».
« Le droit de la transparence, c’est celui de la vengeance »
« S’il y a des magistrats dans des commissions disciplinaires c’est que certaines professions remplissent des missions de service public. Or la Cour de cassation a jugé en 2017 que ce n’était pas le cas des partis politiques » insiste Romain Rambaud. « En matière d’agressions sexuelles et de discrimination, nous avons une commission spéciale qui travaille en toute discrétion », reprend Stéphane Fortier. « Le droit de la transparence, c’est celui de la vengeance », rappelle Pierre-Olivier Sur, ancien bâtonnier de Paris qui, mardi matin, présidait la formation disciplinaire concernant l’avocat Fabrice Di Vizio.
Il ne reste plus pour les partis politiques que de disposer de statuts extrêmement précis pour qu’un tiers impartial comme le pouvoir judiciaire ait les moyens de trancher les litiges entre les adhérents et leur structure. Mais mettre du droit sera toujours mettre du temps, celui de l’enquête, du débat, des procédures « peu compatible avec les caprices du monde médiatico-politique », conclut le professeur de droit.
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