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France : Violences conjugales : avec les casques bleus de la guerre contre les femmes

mercredi 30 novembre 2022, par siawi3

Source : https://charliehebdo.fr/2022/06/societe/feminisme/violences-conjugales-avec-les-casques-bleus-de-la-guerre-contre-les-femmes/?utm_source=sendinblue&utm_campaign=NEWSLETTER_QUOTIDIENNE_-_LE_DOSSIER_-_VIOLENCES_FAITES_AUX_FEMMES_-_291122_-_NON_ABONNES&utm_medium=email


Violences conjugales : avec les casques bleus de la guerre contre les femmes

Robert McLiam Wilson

Mis en ligne le 1er juin 2022 · Paru dans l’édition 1558 du 1 juin

Chaque année en France, environ 220 000 femmes subissent des violences conjugales. En 2021, 113 d’entre elles ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. On s’insurge contre la guerre en Ukraine, mais on se fout pas mal de cette guerre silencieuse, chez nous. Alors même que, dans un procès comme celui qui oppose Johnny Depp à Amber Heard, le bouc émissaire du monde demeure la femme. Charlie en a eu assez, et a rendu visite à l’association Halte aide aux femmes battues, dans l’est de Paris.

Colette Barnay est un orage d’efficacité en jupon, une tempête d’énergie, un cyclone de coups de fil et de courriels, un ouragan de décisions, de plaidoyers, de lobbying. Un blizzard de débrouillardise. Si, un jour, elle vous téléphone, ne décrochez pas. Non seulement cela vous coûtera de l’argent, mais vous devrez en plus lui offrir quelque chose. Parce qu’il est presque impossible de lui dire « non ». Et c’est bien la moindre des choses : Colette Barnay préside l’association Halte aide aux femmes battues (HAFB).

HAFB gère deux structures : le foyer Louise-Labé, un centre d’accueil et d’hébergement sécurisé pour les victimes de violences domestiques, et un espace solidarité insertion (ESI), qui assure un accueil de jour. L’an dernier, sur l’ensemble de ses dispositifs, HAFB a recueilli plus de 1 300 femmes et leurs enfants. Certaines ont été mises à l’abri dans les appartements en cohabitation du foyer, ou dans des chambres d’hôtels sociaux financées par le 115. D’autres ont reçu une assistance sociale ou juridique sans hébergement.

Arriver à HAFB en tant que « bénéficiaire » doit être une expérience des plus mémorables. Les femmes viennent sur le conseil d’assistantes sociales, de la police ou des hôpitaux, et du 3919, la plateforme d’écoute pour les femmes victimes de violences. Les cas d’urgence sont pris en charge sur-le-champ  ; quand une femme requiert une assistante immédiate, on lui trouve une place en foyer ou à l’hôtel, voire, quand il n’y a rien de disponible, on lui suggère d’aller aux urgences hospitalières, d’où l’on est certain qu’elle ne sera pas renvoyée. C’est un moment où la débrouille joue un rôle important, où la rapidité est essentielle. Le soir ou le week-end, obtenir de l’aide peut s’avérer plus délicat.

Véronique Delepouve est la directrice de HAFB. « Ce n’est pas toujours évident d’agir tout de suite quand quelqu’un arrive en urgence absolue. Mais on trouve une solution, parce qu’on a une très bonne équipe, très dévouée, qui n’abandonne jamais. Nos dames arrivent orientées par nos partenaires sociaux, par la police, les écoles ou les maternités (où, souvent, l’excellent rapport avec les sages-femmes peut inciter à révéler des soucis de sécurité). Beaucoup sont orientées vers nous par le 3919 ou par le 115. »

Colette Barnay ajoute : « Être enceinte est souvent déclencheur de la pulsion de se sortir de la violence. Par peur pour l’enfant à venir, des femmes qui ont été systématiquement violentées se disent tout d’un coup : « Basta  ! Je refuse que mon gamin subisse cette menace. » »

Véronique continue : « On propose plus qu’un hébergement. On offre aussi un suivi à long terme. Le but, c’est le retour à l’autonomie, qu’elle soit sociale, juridique ou économique. On reçoit des femmes très différentes, issues de milieux divers, elles ont 60 ans ou 20 ans. Les solutions sont tout aussi variées. »

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Quand on pense « aide aux victimes de violences domestiques », on pense « hébergement sécurisé ». C’est vital, évidemment, mais ce n’est que le début d’un périple terriblement long et difficile. Le centre offre un vaste et compétent réseau d’avocats qui assistent ces femmes face à la montagne de problèmes légaux qu’engendre le fait de fuir un parent violent. Les questions de droits sociaux, d’accès aux soins ou à l’éducation se posent souvent avant même la recherche d’une solution d’hébergement à long terme. Lorsqu’une femme n’a pas de papiers, il faut avant tout régulariser sa situation (le centre accepte ces femmes sans difficulté, mais leur créer une identité administrative relève parfois du quasi-impossible). Il faudrait l’intégralité de vingt numéros de Charlie pour décrire la complexité de ce travail de Sisyphe sur une semaine type – et il faudrait confier le sujet à Tolstoï.

Malgré son allure de star montante du tennis dans la catégorie junior, Avril est travailleuse sociale à l’ESI depuis un an. Elle me parle d’Ariane, arrivée à l’accueil de jour presque en même temps qu’elle. Son histoire est déchirante. Littéralement retenue prisonnière dans un appartement de province par son compagnon, Ariane s’est enfuie sans rien d’autre que son enfant et quelques couches-culottes. Elle s’est débrouillée pour rejoindre une gare et a demandé de l’aide à un homme qui lui a gentiment payé un billet pour le premier train qui partait. Coup de bol, le train allait à Paris, où on lui a parlé de HAFB. Une histoire de chance et de charité quasi romantique.

« Elle est arrivée en France à 11 ans pour échapper à un mariage forcé, me raconte Avril. Elle a été l’esclave domestique d’une parente pendant plusieurs années. Renvoyée, elle s’est retrouvée à la rue. Elle est rapidement tombée enceinte mais elle a perdu l’enfant sous les coups d’un conjoint violent. Pas scolarisée, sans titre de séjour, elle a eu beaucoup de difficultés. Elle est à nouveau tombée enceinte, vivait parfois dans la rue. Mais un centre maternel l’a acceptée, et elle y est restée jusqu’aux 6 mois de son garçon. Puis un nouveau mec l’a violentée. Il lui a brisé le crâne. Tout ça devant le petit garçon, très, très marqué par cette violence. Après ça, un troisième mec violent.

Malgré tout, elle refusait toute aide psychologique, pour elle comme pour son enfant. Elle accepte difficilement les interventions des travailleurs sociaux, médecins, avocats. On peut comprendre, mais ça complique vraiment tout. Elle redoute que l’État lui retire son fils. Mais elle était vraiment bloquée. Surtout à cause de son titre de séjour. On supposait qu’elle se prostituait. Elle avait parfois du mal à prendre soin de l’enfant, le laissant seul à l’hôtel. Il faut être réaliste : son histoire, c’est la réalité du terrain.

Elle vient enfin d’accepter l’aide d’un psychologue, elle a déposé ses papiers au commissariat, et son fils va partir en vacances organisées par l’assistante sociale de son école. Tout d’un coup, elle est moins bloquée, elle s’ouvre. Au bout d’un an, il y a de l’espoir. »

Avril parle des femmes qu’elle a rencontrées au centre avec passion et engagement. Mais, quand je l’interroge sur son salaire, elle se contente de rigoler : « Ah, vous êtes au courant  ! On n’est pas très bien payées, c’est vrai. Chaque mois, je me demande jusqu’à quand ça va tenir. »

Toutes les histoires des femmes aidées ici sont un mélange d’horreur et d’espoir. Violence banalisée, enfants traumatisés, humiliation et exploitation abjectes. La séquestration physique est d’une fréquence stupéfiante. Des histoires bouleversantes d’agressions, d’esclavage, d’authentique incarcération. Ce qu’Avril appelle un état d’isolement maximal. Et ces femmes isolées et sans ressources sont prises en charge par un groupe de professionnelles héroïques, sous-payées et surchargées de travail. Sous la présidence de l’infatigable Colette, au four et au moulin. Ayant exercé dans le privé, elle a un jour expliqué à des travailleurs sociaux qu’elle ne comprenait pas qu’on demande à récupérer des heures pour un événement ou un effort exceptionnel. Et puis elle a su que beaucoup avaient un second boulot pour joindre les deux bouts. Après ça, elle s’est adoucie. Souplesse rare. Comme Véronique, la directrice. La venue de Charlie, elle n’était pas trop pour (à sa place, j’aurais été contre, moi aussi). À notre deuxième visite, Véronique avait changé d’avis. Ça m’a scié. Plus personne ne change d’avis, aujourd’hui. Alors, je ne sais pas exactement ce qu’il faut pour travailler dans un endroit comme HAFB, mais je pense à cette qualité ancienne et oubliée, la souplesse morale ou émotionnelle, une grâce inattendue.

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Parfois, quand on écrit, à mi-parcours on sait qu’on va échouer. Ce coup-ci, je l’ai su dès le début. Il n’existe pas, le stylo qui permettrait d’évoquer la profonde et nécessaire magie qui s’exerce dans les endroits comme HAFB. Enfant, je suis passé par un certain nombre de ces refuges avec ma mère et mes frères et soeurs, après diverses ruptures avec une série d’hommes violents épouvantables. Mais j’ai vite compris que cette expérience ne me donnait aucune légitimité particulière sur le sujet. Rien ne m’était familier. Je n’ai longuement parlé avec aucune de ces femmes de passage ou résidentes. Elles l’auraient peut-être accepté, mais je n’ai pas osé. Je ne pouvais m’empêcher de penser que la dernière chose dont elles avaient besoin, c’était qu’un étranger bizarre armé d’un petit carnet leur demande à quel point leur vie est merdique. J’ai eu de brèves conversations avec quelques-unes, elles étaient amicales et intéressantes. Mais les enfants, c’était différent. En eux, j’ai reconnu quelque chose. Leur façon de me regarder. Moi aussi, j’avais regardé des hommes adultes comme ça, quand j’étais enfant. Mais je ne m’étais encore jamais trouvé de l’autre côté de ce regard. Le genre de regard qu’on ne devrait jamais voir sur le visage d’un enfant. Un regard de chat étrange : alerte absolue, méfiance maximale. ●

Traduit de l’anglais par Myriam Anderson

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Un budget bas de laine

HAFB fonctionne avec un budget public d’environ 1 million d’euros. Qui paie les travailleurs sociaux, les psychologues, les employés de bureau, tout le reste du personnel, les bureaux et la location des appartements en cohabitation de « nos dames ». Je connais les budgets d’une compagnie de théâtre, d’une troupe de danseurs ou d’un élevage de clowns (et leurs plaintes perpétuelles dans les médias). La modestie des moyens de HAFB est à pleurer de rire.

Les donations représentent un ridicule pourcentage du budget et des besoins. Quand l’association reçoit 100 euros, ça ne passe pas inaperçu. Une grande partie de l’aide complémentaire apportée concerne des petites attentions non financées : un kit d’accueil pour celles qui arrivent sans brosse à dents, d’autres produits d’hygiène, des meubles pour des femmes qui finissent enfin par signer un bail. Ces petites expressions d’humanité ont un coût. Des sommes modestes à l’importance capitale. Imaginez-vous sans abri, en danger, et que la personne qui vous offre un sanctuaire provisoire vous tende du dentifrice, du savon, des choses que vous n’espériez pas. Vous vous sentez compris, vu. Vous vous sentez humain. Des particuliers ont souvent proposé des meubles à l’association pour aider des femmes et des enfants dans des logements vides. Une aubaine. Mais Colette Barnay m’explique que HAFB ne peut pas les accepter, faute de véhicule pour les livrer et d’espace pour les stocker. Alors elle sillonne Paris dans sa New Beetle deux portes toute mimi, remplie à ras bord d’articles donnés. À chaque Noël, elle collecte des jouets pour les gamins, telle une Mère Noël en goguette.

HAFB veut mettre en place des activités mieux organisées et plus régulières pour les enfants, dont une garderie quand les mères cherchent un emploi (mais n’ont pas un sou pour démarrer). L’association veut aussi offrir une meilleure assistance pour préparer CV et entretiens d’embauche. Elle se débrouille pour trouver gratuitement tout ce qui peut l’être. Et a même monté un réseau d’avocats qui fournissent une assistance juridique gratuite ou au tarif minimum. L’importante offre de conseil juridique extérieur ne coûte presque rien. Ces gens ne sont pas des flambeurs. Ils savent tirer le maximum du moindre centime mieux que quiconque à Paris.

Les dépenses de cet endroit de consolation qui reçoit près de 1 000 femmes vulnérables par an sont ridiculement basses rapportées au travail accompli. Kylian Mbappé pourrait financer l’intégralité de ce budget en trois semaines. Un camion d’occasion et un espace de stockage changeraient la donne. Si 10, 50 ou 100 euros ne représentent pas grand-chose pour vous, faites un don. Faites faire de l’exercice à votre argent, donnez-lui du muscle. Offrez un jouet à un enfant qui n’en reviendra pas, ou une brosse à dents à une femme perdue. Vous pouvez donner ici : hafb.fr

Vous ne ferez rien de plus utile cette année. Et sinon, je donne votre numéro à Colette Barnay. ● R. McLiam Wilson

Qui a besoin de vacances  ?

Depuis cinq ans, l’association HAFB offre des vacances d’été aux femmes et aux enfants qu’elle assiste. En levant les modiques fonds nécessaires par donation, en utilisant les hébergements gratuits mis à disposition par la Fondation Je pars, tu pars, il part et les chèques- vacances financés par Vacances ouvertes, HAFB a pu accomplir le petit miracle d’envoyer loin de Paris un groupe de femmes et d’enfants vulnérables pour goûter à l’émerveillement d’une trêve à la campagne.

Ce projet, c’est le bébé de Colette Barnay. À ses yeux, il est essentiel. En écrivant ces lignes, je ne peux m’empêcher de sourire en imaginant tous les gens qu’elle a dû harceler au téléphone pour organiser ça (usant avec retenue du mot « vacances », de peur qu’il soit perçu comme frivole ou futile). C’est peut-être sa plus éclatante réussite – la sienne et celle de ceux qui y participent.

Elle a raison de déguiser le mot « vacances ». Ça passe mal. Comme vous, je vis dans le vrai, grand méchant monde. On connaît la chanson. Pourquoi leur faudrait-il des vacances, si on leur donne déjà asile et protection  ? Combien sont sans papiers  ? Y a-t-il parmi eux des Blancs  ? Moi, j’ai pas les moyens de partir cette année, pourquoi eux  ? À quoi ça sert  ?

Il y a très longtemps, dans le Belfast des années 1970, morveux dégoûtant, j’ai acquis ma propre expérience des refuges pour femmes battues, en compagnie de ma mère régulièrement agressée et de mes 9 millions de frères et sœurs. J’en garde des souvenirs vifs. Comme c’était chouette d’avoir des hommes adultes alentour. Combien les autres enfants nous ressemblaient (silencieux, prudents, yeux grands ouverts). Comme le mélange de meubles me semblait étrange, des vieux, énormes, déglingués et d’autres tout neufs, en plastique.

Mais ce dont je me souviens le mieux, c’est le jour où on nous a envoyés en vacances. Enfant, c’était souvent embarrassant d’être l’objet de la charité des autres, pas exactement honteux mais horriblement gênant. Là, c’était complètement différent. L’Irlande du Nord est minuscule – un pays de poche. Mais je n’avais jamais vu la mer. Je n’avais jamais vu une vache. Ni un réverbère intact. C’était à couper le souffle. J’ai vu des choses simples, de tous les jours, dont la beauté m’a complètement bouleversé. Des choses qui vivaient, pensais-je, dans la télévision ou dans les livres. Des champs, des montagnes, des rivières. J’ai vu un lac si beau que j’en ai eu le goût dans la bouche (un goût de caramel).

Ça a changé ma vie – profondément et pour toujours. Ma compréhension de la beauté vient intégralement de cette piètre épiphanie à trois francs six sous. L’année dernière, HAFB a envoyé un groupe de mamans et de 37 enfants en vacances pendant une semaine. Parmi ces 37 enfants, combien ont vu leur monde basculer, leur vie changer  ? Et cela ne nous coûte rien, à vous et moi. Avons-nous le droit d’en tenir la comptabilité morale et philosophique  ? En tout cas, à la question de savoir s’ils méritent des vacances, c’est Colette Barnay qui a la meilleure réponse : « Pourquoi n’iraient-ils pas en vacances  ? dit-elle. Pourquoi pas  ? » ●R. McLiam Wilson