Subscribe to Secularism is a Womens Issue

Secularism is a Women’s Issue

Accueil > fundamentalism / shrinking secular space > « L’EIGS menace l’unité du Mali et la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest  (...)

« L’EIGS menace l’unité du Mali et la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest »

lundi 19 décembre 2022, par siawi3

Source : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20221208-guillaume-soto-mayor-l-eigs-menace-l-unit%C3%A9-du-mali-et-la-stabilit%C3%A9-de-toute-l-afrique-de-l-ouest

Guillaume Soto-Mayor : « L’EIGS menace l’unité du Mali et la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest »

Publié le : 08/12/2022 - 07:06Modifié le : 08/12/2022 - 15:24

Photo : La ville de Ménaka, dans le nord du Mali. Wikimedia Commons / Animali

Par :
David Baché

La région de Ménaka subit depuis mars les assauts de la branche sahélienne du groupe État islamique (EIGS) qui tente de s’installer durablement dans cette partie du nord-est du Mali, proche du Niger et du Burkina Faso. Une région jusqu’alors sécurisée par des groupes armés maliens signataires de l’accord de paix de 2015 et alliés des autorités de Bamako, mais où les jihadistes du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM ou Jnim en arabe), lié à al-Qaïda au Maghreb islamique, contrôlent également certaines parties du territoire.

C’est principalement à ses rivaux d’al-Qaïda que l’EIGS s’attaque depuis des mois, massacrant au passage des centaines de civils. Des affrontements sont régulièrement signalés, et l’assise de l’EIGS semble se renforcer inéluctablement, menaçant la sécurité de ces régions du nord du Mali et, plus globalement, du Niger, du Burkina Faso, et de toute la sous-région.

Guillaume Soto-Mayor est chercheur associé au Middle East Institute, spécialiste des groupes jihadistes au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Il estime que c’est un tournant majeur, pour l’unité du Mali et la sécurité de toute l’Afrique de l’Ouest, qui est en train de se jouer.

Depuis mars, le groupe État islamique est à l’offensive dans le nord-est du Mali, il contrôle deux cercles sur trois dans la région de Ménaka et mène des attaques de plus en plus près de la ville de Ménaka et même, tout récemment, de Gao. Est-ce que vous pourriez nous donner un aperçu de l’état des forces actuelles de l’EIGS ?

Guillaume Soto-Mayor : Pour évaluer la présence et la force du groupe, il est intéressant de mesurer sa capacité simultanée d’action et de présence, aussi bien dans les régions de Gao et de Ménaka, mais également de plus en plus dans l’Oudalan, dans la région des Trois frontières, au nord du Burkina Faso, dans laquelle le groupe EI qui avait été chassé par al-Qaïda il y a deux ans, met de nouveau pied, et dans lequel il affronte la branche d’al-Qaïda qui s’appelle Ansarou al-Islam, mais également dans les régions de Tombouctou, dans les communes de Gossi et de Hombori, près de Douentza, où l’État islamique est actuellement à l’offensive contre la Katiba Macina et la Katiba Serma. C’est-à-dire que le groupe se sent suffisamment fort pour affronter Al-Qaïda, principalement, dans toutes ces régions à la fois.

On a une idée du nombre d’hommes, du matériel ?

Des images récentes de l’allégeance de la province de l’État islamique au Sahel, au nouveau leader de l’État islamique, à Andéramboukane, montre environ 150 à 200 combattants présents, rien que dans cette zone qui est donc à l’est de la région de Ménaka. Et les différentes constitutions de katibas, dans les différentes régions que je viens d’évoquer, indiqueraient que le groupe a une capacité de déployer environ 1 000 à 1 200 combattants, mais c’est très compliqué à évaluer, donc ce sont des estimations.

En tout cas, on est passé en quelques mois d’un groupe qui était désorganisé, éparpillé et désargenté, à l’été 2021, à un groupe qui est capable de réaliser une offensive multiple, d’avoir une progression territoriale extrêmement rapide, et tout ça pose véritablement question.

Et ce renforcement de la branche sahélienne du groupe État islamique est synonyme de tragédie pour les civils : on parle, selon les estimations des communautés locales, de plus de 900 morts depuis mars.

Sa présence et le contrôle territorial de l’État islamique s’accompagnent de violences accrues contre les civils. À chaque fois qu’ils arrivent dans de nouveaux territoires, ils lancent des ultimatums aux populations civiles : « vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous ». C’est une vision sans compromis du jihad. On voit les cycles de représailles se multiplier, les exécutions sommaires dans toutes leurs zones d’opérations. Mais également les vols de bétail, les destructions de villages, etc. Les humanitaires sont également considérés comme des cibles légitimes, et donc dans ces zones où l’État malien est absent depuis des années, ce sont des milliers de personnes qui vont souffrir et qui souffrent déjà.

Face aux jihadistes du groupe État islamique, le MSA et le Gatia – deux groupes armés locaux signataires de l’accord de paix de 2015 – tentent de défendre les populations avec, plus récemment, les ex-rebelles de la CMA. Il y a aussi les jihadistes du Jnim, liés à al-Qaïda, qui ne veulent pas laisser leurs rivaux de l’EIGS s’implanter durablement dans ces régions de Ménaka et de Gao. En revanche, l’armée malienne est tout à fait absente. Comment est-ce que vous l’expliquez ?

C’est très difficile. On peut s’interroger peut-être sur la faiblesse ou les capacités réelles de l’armée malienne à intervenir. On peut évoquer un manque de confiance, ou de coopération entre les groupes armés présents dans cette zone et l’armée malienne. En tout cas, cette absence, notamment avec la présence de l’armée malienne à Ménaka, pose véritablement question, elle interroge…

À Ménaka où les supplétifs russes de l’armée sont également déployés…

Absolument. Cette coopération militaire est un choix souverain qu’il faut respecter, en tout cas, pour le moment, ce qui est certain, c’est que les groupes jihadistes progressent et que l’armée malienne ne semble pas avoir la volonté, et c’est ça qui interroge le plus, de répondre à cette progression. Ce que cela laisse aux populations, c’est un sentiment d’abandon total, d’un laisser-faire ou en tout cas d’un désintérêt de Bamako face à leur sort.

À lire aussi : Grand Reportage - Mali : quand il ne reste que la fuite, récits de victimes

Donc que l’EIGS prenne le contrôle de ces régions, où que des groupes locaux les repoussent, il y a selon vous un risque pour l’unité du Mali.

Je serais prudent sur ces dimensions, mais oui, je pense que c’est un risque réel. Le conflit date maintenant de nombreuses années, les populations ont énormément souffert, et actuellement, il y a un appel général de toute la population du Nord, à combattre ces groupes. Et donc face au sentiment d’abandon de l’État malien, on remarque que même un général de l’armée malienne, le général Ag Gamou qui est aussi le responsable du Gatia, en appelle aux Touaregs de toute la région, c’est-à-dire également à des combattants étrangers au Mali, à venir les aider face à cette menace encore une fois existentielle pour les communautés.

Le risque est donc immense pour le Mali, mais aussi pour le Niger, le Burkina et les autres pays ouest-africains ?

Le pourquoi de ces capacités opérationnelles vient de la capacité du groupe EI à s’être renforcé d’un point de vue humain, avec la présence de combattants nigérians, mais aussi de combattants de la Libye, en plus petit nombre. Et deuxièmement, d’avoir récupéré de l’argent, d’avoir récupéré un soutien logistique, via un couloir de transmission très efficace, reliant le sud-est du Mali et la zone des Trois frontières, au nord-est du Nigeria, au nord de la région de Sokoto. Et ce couloir, la viabilité de cette transmission entre l’État islamique en Afrique de l’Ouest et l’État islamique au Sahara, montre la capacité du groupe à opérer conjointement, de concerts, dans son expansion opérationnelle.

C’est véritablement un tournant pour la sous-région. C’est un tournant, car là, pour la première fois, vous avez un groupe qui est très bien interconnecté, qui est fort tactiquement, qui est capable d’affronter al-Qaïda sur l’ensemble de son territoire, et donc qui menace aussi bien l’Algérie que la Mauritanie, et également le reste du Burkina Faso. C’est une menace régionale que l’expansion de l’État islamique.

C’est une double menace pour la région parce que c’est aussi une menace qui s’accompagne de l’expansion d’Al-Qaïda vers le sud, il ne faut jamais oublier ça ! Trois exemples très récents : une opération à la frontière togolaise et béninoise, une présence également dans la région de Kayes au Mali, dans cette région qui s’approche de la frontière sénégalaise et de la frontière mauritanienne, et une présence également de plus en plus signalée au nord du Ghana et au nord de la Côte d’Ivoire.

Donc le retour en force de l’État islamique au centre du Sahel est accompagné malheureusement d’une expansion d’Al-Qaïda qui pourrait menacer les capitales aussi bien du centre au Sahel, que les populations du nord des pays côtiers dans les prochains mois, dans les prochaines années.

À lire aussi  : Le nord du Togo, une région davantage ciblée par les terroristes