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C’est quoi l’« hostilité à Dieu », arme utilisée par l’Iran pour condamner ses opposants à mort ?
samedi 21 janvier 2023, par
C’est quoi l’« hostilité à Dieu », arme utilisée par l’Iran pour condamner ses opposants à mort ?
Les personnes exécutées ou condamnées à mort en Iran le sont presque tous sur ce motif : le « moharebeh » c’est-à-dire l’« hostilité contre Dieu ». Un terme juridique découlant de la loi islamique, la charia, et qui permet de décréter la peine capitale sous des critères plus que vagues. Un outil politique, dont se servent les dirigeants iraniens pour terroriser la population.
Photo : Le procès de Mohammad Mehdi Karami, exécuté pour « hostilité contre Dieu ». Entièrement filmé, son procès a été diffusé sur la télévision iranienne. | WANA NEWS AGENCY VIA REUTERS
Ouest-France
Emile BENECH.
Publié le 16/01/2023 à 07h00
Mohsen Shekari, Majidreza Rahnavard, Mohammad Mehdi Karami et Seyyed Mohammad Hosseini ont été les quatre premiers. Ces opposants ont été exécutés en Iran pour avoir participé aux manifestations qui ont suivi la mort de la jeune Mahsa Amini. Tous ont été condamnés à la peine capitale sous les mêmes accusations : « moharebeh ». Qu’on peut traduire en français par « hostilité contre Dieu ». Un outil législatif qui permet de condamner à mort les opposants politiques. Et de terroriser la population.
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Des notions qui proviennent de la charia
« C’est une qualification qui existe dans le Code pénal depuis le début de la révolution iranienne, explique Liliane Saber, présidente de la Société des avocats franco-iraniens (Safir). Elle a d’ailleurs été beaucoup utilisée par le régime iranien dans la fin des années 1970, pour exécuter les opposants politiques, ainsi que les généraux de l’ancien régime ».
« Cette notion provient de la charia , poursuit Raphaël Chenuil-Hazan, président d’Ensemble contre la peine de mort (ECPM) et de la coalition d’organisations non gouvernementales Impact Iran. Elle est spécifique au Code pénal iranien, on ne la retrouve pas, par exemple, dans le Code pénal saoudien. »
« Moharebeh signifie faire la guerre à Dieu, à son prophète ou à ses représentants », poursuit Farid Vahid, directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès. L’article 279 du Code pénal islamique iranien définit le moharebeh comme le fait de « dégainer une arme dans l’intention d’attenter à la vie, à la propriété ou à l’honneur des personnes ou de les intimider, de manière à semer l’insécurité dans l’environnement ».
« Une notion fourre-tout, qui englobe beaucoup de charges, et qui peut être sujette à – beaucoup – d’interprétations », explique Raphaël Chenuil-Hazan.
Sahand Nourmohammad-Zadeh, 26 ans, a par exemple été condamné pour « hostilité contre Dieu », non pas pour avoir attenté à la vie d’une personne, mais pour avoir « démoli des barrières d’autoroute », « perturbé la paix et l’ordre et affronté l’État islamique ».
Ce crime « d’hostilité contre Dieu » peut être puni par la mort, l’amputation, la crucifixion ou l’exil, « le choix restant à la discrétion du juge ».
Une arme politique
De plus, comme l’Ayatollah Khamenei est la représentation de Dieu sur Terre, les opposants à son régime peuvent directement être accusés de « moharebeh ». « En fait, explique le président d’ECPM, c’est une arme politique, qui permet au régime de condamner des personnes sans avoir de preuves. » Selon lui, elle a longtemps permis de réprimer les Kurdes (nord) et les Baloutches (sud-est), minorités du pays.
En 2019, le « moharebeh » a notamment servi à punir les étudiants qui protestaient contre le régime.
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Une arme visant à terroriser la population
« C’est la pire des accusations, explique Farid Vahid, car elle est punissable de la mort. Être accusé de moharebeh, c’est risquer sa vie. » Pour le directeur de l’Observatoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de la Fondation Jean-Jaurès, la dictature religieuse iranienne sait que la majorité de sa population s’oppose à elle. « Il leur reste deux choix pour répondre à une contestation forte. La répression sanglante, qu’ils poursuivent dans la rue, et la stratégie de terreur. L’utilisation du moharebeh dans des cas de dégradations de biens, et non d’atteinte aux personnes, leur permet de faire craindre pour leur vie quiconque se joint aux manifestations. »
Photo : Une vue fixe de la salle d’audience lors de du procès précédant l’exécution par pendaison de Seyyed Mohammad Hosseini et Mohammad-Mehdi Karami. | WANA NEWS AGENCY / REUTERS
Pour appuyer cette stratégie de terreur, les tenants du régime diffusent également les procès des manifestants à la télévision. « Au lieu de tomber sur BFMTV le soir, on assiste aux procès, on voit les aveux forcés qui sont soutirés aux manifestants, on entend les condamnations à mort tomber. »
En 2021, 4 % des exécutions en Iran étaient motivées par l’« hostilité contre Dieu », selon le dernier rapport de l’ECPM. « Je vous garantis que ce chiffre va exploser en 2022 », souffle son président.