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Résister au wokisme : on a lu « Le Courage de la dissidence » de Bérénice Levet
Book Review
lundi 23 janvier 2023, par
Résister au wokisme : on a lu « Le Courage de la dissidence » de Bérénice Levet
Lecture
Par Samuel Piquet
Publié le 22/01/2023 à 17:00
Loin d’être uniquement une critique de la société actuelle, « Le Courage de la dissidence. L’esprit français contre le wokisme » de la philosophe Bérénice Levet (L’Observatoire) combat le déclinisme en exaltant une résistance active à la médiocrité ambiante et aux passions tristes.
On ne pourra jamais reprocher aux Français leur manque d’autocritique. Mais il ne faudrait pas que celle-ci devienne « un jeu dangereux » pour reprendre le mot de Michelet, cité par la philosophe : « si nous nous disons méprisables, (on) pourrait bien nous croire ». De même que l’on est en général plus indulgents avec les morts, faudrait-il que nous nous montrions plus indulgents avec notre passé ? L’auteur semble en tout cas penser avec l’historien Fernand Braudel qu’une « nation ne peut être qu’au prix de […] s’identifier au meilleur, à l’essentiel de soi ». Et les sujets de gloire ne manquent pas si l’on en croit l’essai de Bérénice Levet, magnifique ode à une France pas simplement envisagée comme un pays d’histoire et de littérature mais comme une véritable personne dotée d’une âme.
Or comment célébrer la meilleure part de notre pays si nous connaissons si peu notre art, notre histoire et notre géographie ? Si les médias ne s’affligent que de notre ignorance en matière de colonisation, d’esclavage ou de genre mais « ne s’affligent (pas) de ce que ces mêmes Français méconnaissent tout de la Guerre de Cent ans, des guerres de Religion, ou des rois qui ont fait la France » ? Reprenant l’allégorie de la caverne de Platon, l’auteur regrette que nos efforts consistent trop souvent à maintenir les citoyens dans les sous-sols du présent : « Une éducation au seul présent adapte le nouveau venu au monde comme il est et comme il va, en fait un parfait habitant de la caverne, docile perroquet dont elle bourdonne. » Au lieu d’apprendre à mieux connaître et reconnaître notre pays.
Retrouver le goût du savoir
Pour l’auteur, la solution est dans une école qui n’aurait pas peur d’ « être résolument conservatrice, tournée vers le passé », qui n’aurait pas peur d’ « inquiéter nos certitudes, nos évidences », ainsi que d’oser « le risque de la découverte ». Une école, enfin « indifférente, souverainement, suprêmement, aux identités. Une école qui se souvient de Jaurès rappelant aux instituteurs qu’ils avaient en leurs mains « l’intelligence et l’âme des enfants » et la responsabilité de la patrie. » L’auteur regrette qu’inversement, on cherche par trop à enfermer les élèves dans « le cercle étroit de l’identité » et que « l’exploration du monde (ait) cédé la place à l’expression du moi. » On l’a compris, pour la philosophe, la critique est insuffisante : « À quoi bon multiplier les enquêtes, ouvrir grand les yeux sur la pénétration du genre, du racialisme, de l’indigénisme en France si nous n’avons rien de substantiel à leur opposer ? » Mais la convocation des mêmes discours, devenus presque éléments de langage, ne l’est pas moins. Seule l’étude approfondie des particularités de la France, la connaissance de sa personnalité, nous aidera à l’envisager comme une « patrie littéraire, patrie de la conversation » et de constater la pertinence du triptyque français selon Madame de Staël : grâce, goût, gaieté.
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Or pour l’auteur, il n’est pas de connaissance véritable du pays sans récit. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra cesser d’œuvrer uniquement pour « la réconciliation des mémoires (qui) ne regarde jamais que dans une direction », « réconcilier les citoyens avec la France » et « remplir ce vide identitaire que nous avons creusé » et dans lequel sont venues s’engouffrer les idéologies identitaires. Car pour Bérénice Levet, et c’est l’un des aspects les plus intéressants de l’essai, la raison seule ne suffit pas, ce qu’elle démontre brillamment en abordant les limites des Lumières ou de la République, qu’elle exalte par ailleurs.
L’attachement à la République n’a de sens que s’il s’agit de celle du pays et non une référence abstraite : « La République française n’a été grande et forte, et heureuse, que lorsque l’épithète a investi le nom, lorsque la France, son histoire (qui ne commence pas en 1789), sa langue, sa littérature, lui ont donné une profondeur temporelle et une étoffe charnelle. » Quant aux « valeurs républicaines », à « l’universalisme », ou à « la laïcité », ils ne sont pas moins des slogans et des concepts vidés de leur substance que les études diversitaires si l’on ne leur redonne pas davantage d’âme et de chair.
Être français
L’auteur oppose ainsi au « froid métallique de l’État » mentionné par la philosophe Simone Weil la « charge d’imaginaire et de mémoire qu’il faut à un principe de communion pour faire battre les cœurs et galvaniser les corps ». Car pour la philosophe, « ce n’est pas seulement le sommeil de la raison qui engendre des monstres, c’est aussi le sommeil des sens. » Refusant de s’arrêter aux idées reçues sur Voltaire, la philosophe rappelle d’ailleurs que celui-ci n’a jamais divinisé la raison et que son œuvre « devrait d’abord être lue, moins comme un hymne exclusif à la raison que comme un réquisitoire contre toutes les tentatives d’occulter le réel […] Candide est l’homme qui ouvre les yeux et qui a la faiblesse de voir ce qu’il voit, d’en croire ses yeux ».
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Le concept d’émancipation lui-même n’échappe pas à l’examen critique de l’auteur qui y voit peu d’intérêt si elle perd de vue le collectif et exalte à outrance l’individu déraciné en quête de son vrai moi intérieur. Être français reviendrait donc à rechercher constamment un certain équilibre, à essayer de tout garder tout en faisant le tri, à déclarer comme Jules Ferry cité par l’auteur : « Je suis l’élu d’un peuple qui fait des reposoirs, qui tient à la République, mais qui ne tient pas moins à ses processions. » À ce sujet, la philosophe montre l’exemple en alternant les citations tirées d’essai et les références littéraires pertinentes qui, en plus d’appuyer l’argumentaire, offrent à chaque fois une preuve éclatante du génie français annoncé.
« Un peuple, c’est sans doute des valeurs, mais c’est d’abord un mode de vie, des mœurs, des paysages, une histoire » résume Bérénice Levet. Son livre l’illustre à merveille en redonnant à la nostalgie ses lettres de noblesse et en invitant à garder du passé ce qui mérite vraiment d’être conservé, non comme une occasion de redouter le futur mais plutôt comme une arme à brandir contre les passions tristes.
* Bérénice Levet, Le Courage de la dissidence. L’esprit français contre le wokisme, L’Observatoire, 176 p., 18 €