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Belgique : Première victoire judiciaire pour Nadia Geerts, enseignante laïque aux prises avec l’intégrisme
lundi 20 février 2023, par
Première victoire judiciaire
Publié le 28 janvier 2023
par Nadia Geerts
En octobre 2020, mon soutien à Samuel Paty sur la Page Facebook rassemblant les membres de la Haute École Pédagogique où j’enseignais, et gérée par le Conseil Étudiant, me valait une salve d’attaques odieuses, qui font depuis lors l’objet d’une action en justice au pénal. Si des collègues me témoignaient immédiatement leur soutien et intervenaient auprès de notre hiérarchie pour insister sur l’urgence d’une réaction, j’étais alors exclue de la Page, et il faudrait attendre le 10 décembre pour qu’une réunion ait lieu en présence de ma direction, d’un collègue, de la présidente du Conseil Étudiant et du Commissaire du Gouvernement, à l’issue de laquelle une communication officielle de soutien à mon égard et de condamnation de mes agresseurs fut enfin rendue publique le 16 décembre. Je reste aujourd’hui intimement convaincue que la lenteur de cette réaction, conjuguée avec sa dimension relativement confidentielle, explique en partie que j’aie pu être à nouveau la cible d’attaques en janvier 2021.
En effet, suite à l’annonce du fait que Wallonie-Bruxelles Enseignement autoriserait désormais les signes convictionnels dans ses Hautes Écoles, le « bashing » à mon égard recommençait. Et le 19 janvier, je découvrais une nouvelle publication, cette fois sur la page Facebook du Conseil des Étudiants : un ancien étudiant m’y accusait de xénophobie envers mes étudiants un peu trop basanés et concluait qu’il faudra bientôt prévoir un assesseur d’office lors de mes examens. Cette énième attaque odieuse à mon égard était validée par le Conseil Étudiant et assortie d’un commentaire de sa présidente y accordant crédit. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder un vase déjà bien plein et suscita mon burn out, et ma réorientation professionnelle. Vint encore ensuite l’annonce par la presse, via un article de Philippe Carlot pour la RTBF, d’une motion de défiance votée à mon encontre par le Conseil Étudiant.
L’ensemble de ces agissements ont motivé le dépôt d’une plainte entre les mains du Parquet visant notamment le Conseil Étudiant, et qui suit actuellement son cours.
C’est la publication du 19 janvier 2021 qui vient de faire l’objet d’un jugement me donnant définitivement gain de cause, la partie adverse ayant renoncé à faire appel. En effet, le 18 novembre 2022, le tribunal de première instance de Bruxelles (4è chambre des affaires civiles) a estimé ma demande recevable et fondée et condamné cet ancien étudiant – qui, plus âgé que moi, ne m’a évidemment jamais eu comme enseignante ! - pour le dommage moral infligé suite aux commentaires qu’il avait publiés à mon sujet.
En effet, le tribunal a estimé que ce commentaire mettait gravement en cause mon honneur et ma réputation, qui sont des droits garantis par l’article 8 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Le tribunal a en effet estimé que ce commentaire « met en cause l’éthique et les compétences de Madame Geerts en sa qualité d’enseignante en lui imputant une subjectivité et une xénophobie qui ne lui permettraient pas de faire passer des examens sans un assesseur à ses côtés », et ce sans présenter d’éléments factuels vérifiables.
Ces propos, selon le tribunal, relèvent donc de l’attaque ad personam et non de la critique constructive que permet un débat d’intérêt général. Leur caractère injurieux ne relève donc pas de la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la CEDH.
Ce jugement est une première victoire suite à la campagne de haine que j’ai subie depuis octobre 2020, suite à la décapitation de Samuel Paty, puis à l’autorisation des signes convictionnels dans les Hautes Écoles de WBE. C’est suite à cette campagne que j’ai dû prendre la décision, pour retrouver la sécurité et la sérénité professionnelles, de quitter le métier d’enseignante que j’exerçais avec bonheur depuis 30 ans, alors même que mon employeur n’avait jamais eu à se plaindre de mon travail.
Cette victoire est d’une importance symbolique capitale pour moi, puisqu’elle constitue un premier pas dans la réhabilitation de mon honneur professionnel et de la vérité. Aussi en ai-je immédiatement averti ma hiérarchie, en lui demandant de transmettre cette décision de justice à l’ensemble du corps pédagogique, ainsi qu’au Conseil Étudiant - qui joua un rôle extrêmement délétère dans cette affaire. J’ose croire qu’ils auront à cœur de contribuer ainsi à la réparation du préjudice subi.
Je n’aurais pas pu tenir jusqu’ici sans le soutien moral de nombreux d’entre vous. Anciens collègues, anciens étudiants, amis, lecteurs de ce blog, compagnons de combat laïque, personnalités du monde académique, sans oublier quelques politiques de tous bords qui ont su dépasser pour l’occasion les éventuels positionnements « inclusifs » de leur parti pour me témoigner leur soutien. Ce soutien m’a été et me reste plus précieux que je ne saurais le dire. Ceux qui me connaissent savent mon attachement tant à la liberté d’expression qu’à la neutralité, de même que mon refus de courber l’échine devant les intimidations de ceux qui préfèrent l’invective au débat argumenté.
Mais à côté du soutien moral, il y a aussi celui qui m’a permis de tenir financièrement. Car de toute évidence, si la justice m’a donné gain de cause dans cette première affaire, le montant fixé pour la réparation du préjudice subi (500€, ainsi que le payement des dépens) ne suffit aucunement à couvrir mes frais d’avocat. Je ne peux donc que remercier encore une fois tous ceux qui y ont contribué, même modestement.
L’une des choses les plus douloureuses pour moi dans cette affaire a été de découvrir que certains, loin de me soutenir, venaient ajouter d’une manière ou d’une autre aux attaques ignobles que je subissais, en mettant en cause à leur tour mon honorabilité professionnelle. Parmi eux, des gens, collègues ou représentants syndicaux, qui avaient ma confiance et dont je pensais qu’ils avaient confiance en mon intégrité. S’ils me lisent, j’espère qu’ils se reconnaîtront et reconsidèreront leur attitude de l’époque.
Je sais que certains aimeraient que je cesse de m’exprimer publiquement sur cette affaire. Sans doute ne savent-ils pas ce que c’est d’être publiquement menacée, harcelée et calomniée, particulièrement dans le contexte de l’époque, où un enseignant venait d’être décapité pour avoir osé montrer les caricatures du prophète qui avaient mené à l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo.
Si vous comprenez l’importance que revêt pour moi ce premier jugement, je ne vous demande qu’une chose : diffusez cet article largement autour de vous !