Accueil > Uncategorised > Deux hommes promenés en tchador : en Afghanistan, le retour des humiliations (...)
Deux hommes promenés en tchador : en Afghanistan, le retour des humiliations publiques
lundi 17 avril 2023, par
Deux hommes promenés en tchador : en Afghanistan, le retour des humiliations publiques
Publié le : 07/04/2023 - 18:26
Images :
À gauche : à Kandahar, les Taliban ont fouetté neuf hommes accusés d’adultère et de petits vols. À droite : une vidéo postée le 16 mars montre deux hommes portant des tchadors à Kaboul. © Les Observateurs de France 24
Texte par :
Alijani Ershad
Les militants afghans ont recensé des dizaines de châtiments publics depuis octobre 2022, dont des flagellations et des exécutions. Les preuves en images de ces châtiments sont rares : seules deux vidéos témoignent de ces tactiques brutales, dont une, récente, montre deux hommes habillés en tchador, pour les humilier.
Sur les images, on voit deux hommes sur une place de Kaboul, debout sur une plateforme suffisamment haute pour que tous les passants puissent les voir. Ceux-ci ont été accusés de vols mineurs et un tribunal taliban a décidé de les « humilier » en guise de « punition » en les habillant en femmes, dans un pays considéré comme le pire au monde pour les femmes, d’après l’Institut de Georgetown pour les femmes, la paix et la sécurité.
Une vidéo publiée le 16 mars sur les réseaux sociaux, notamment TikTok, Instagram et Facebook, montre deux hommes portant des tchadors à Kaboul.
« Ils veulent signifier que ces hommes sont faibles et lâches »
Huda Khamoosh est une militante afghane des droits de la femme qui a été contrainte de fuir son pays en 2021 après le retour au pouvoir des Taliban.
Aux yeux des Taliban, les femmes sont un symbole de faiblesse et d’impuissance. Les femmes ne sont là que pour porter des enfants et cuisiner pour leur mari. Il est donc normal que porter des vêtements féminins soit une humiliation indicible pour un homme. Ils veulent signifier que ces hommes sont faibles et lâches et qu’ils ne méritent pas d’être appelés des hommes : ce sont des femmes.
C’est assez ironique de penser que leurs kamikazes ont fait exactement la même chose : ils ont porté des tchadors de femmes pour passer inaperçus et se faire exploser [régulièrement lors d’attentats entre 2001, lorsque les Taliban ont perdu le pouvoir après l’invasion américaine, et 2021, lorsque les Taliban ont repris le contrôle de l’ensemble de l’Afghanistan, NDLR].
Autant que je m’en souvienne, c’est la première fois que les Taliban utilisent cette forme de « punition » pour les criminels, mais ils ont fait bien pire depuis août 2021. Les femmes n’ont pas le droit de sortir seules, elles doivent toujours être accompagnées d’un homme adulte de leur famille, elles n’ont pas le droit d’étudier, elles n’ont pas le droit de travailler, il y a des cas de femmes divorcées qui se remarient avec leur ex-mari.
Et pour couronner le tout, les femmes sont fouettées et torturées en public, comme nous l’avons déjà vu dans les années 1990.
Parmi les images les plus brutales du régime des Taliban en Afghanistan dans les années 1990 figurent des vidéos de lapidations et d’exécutions publiques d’hommes et de femmes dans des stades de tout le pays. Ces images avaient choqué le monde entier.
Lorsque les États-Unis ont envahi l’Afghanistan en 2001, les Taliban ont perdu le pouvoir et ces châtiments publics ont cessé pendant un court laps de temps. Quelques années plus tard, lorsque les Taliban ont repris le contrôle de certains territoires, les lapidations, les flagellations et les exécutions publiques ont repris dans de nombreuses zones rurales, malgré la mise en place d’un gouvernement afghan soutenu par les États-Unis.
>> LIRE SUR LES OBSERVATEURS : Afghanistan : le lynchage à coups de fouet d’une femme rappelle que les tribunaux talibans sévissent toujours
Depuis son retour au pouvoir, le groupe fondamentaliste a renoué avec ses vieilles habitudes. Dès septembre 2021, les Taliban suspendaient ainsi les corps de quatre hommes accusés d’enlèvement sur l’une des principales places d’Herat, dans l’ouest de l’Afghanistan.
Selon Afghan Witness, un collectif qui documente les violations des droits humains commises par les Taliban, ces derniers ont infligé au moins 36 châtiments publics en Afghanistan entre octobre 2022 et mars 2023. Le groupe a documenté des exécutions et des flagellations publiques ordonnées par les tribunaux talibans. Ils estiment qu’il y aurait plus de 200 victimes.
Le 17 janvier, à Kandahar, bastion historique des Taliban dans le sud de l’Afghanistan, les Taliban ont fouetté neuf hommes pour « adultère » et petits vols.
« Les victimes sont parfois des membres de la résistance anti-Taliban [...] et beaucoup sont de simples personnes accusées de petits vols, de trafic de drogue ou d’adultère »
Mokhtar Wafayi est un dissident afghan qui vit aujourd’hui à l’étranger. C’est un expert des opérations des Taliban.
Lorsque les Taliban ont conquis l’Afghanistan en 2020, ils ont d’abord commis des actes cruels au hasard, ici et là dans le pays, mais ils ont très vite été arrêtés par la chaîne de commandement des Taliban. Cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas torturé ou tué des gens ils l’ont fait mais c’était en cachette, le plus discrètement possible.
Pendant les années de négociations avec les Américains à Doha, ils avaient promis de respecter les chartes des droits humains et les lois que le précédent gouvernement afghan avait signées.
Mais au bout d’un an, lorsqu’ils ont vu que la communauté internationale n’avait pas l’intention de les reconnaître comme les dirigeants souverains valides de l’Afghanistan, ils sont revenus à leur vraie nature [malgré les relations diplomatiques entre certains pays et les Taliban, aucun de ces pays ne les a encore reconnus comme les dirigeants légitimes de l’Afghanistan, NDLR].
En fin de compte, tous les dirigeants talibans sont des extrémistes, mais une partie d’entre eux, qui se trouvent à Doha depuis des années et qui ont participé aux négociations avec Washington, ont voulu limiter ou au moins dissimuler autant que possible les atrocités commises par les Taliban afin d’obtenir la reconnaissance internationale de leur régime. Mais après des mois sans succès, les plus puissants, dont le mollah Haibatullah, chef des Taliban, ont perdu patience.
Le 14 novembre 2022, le mollah Haibatullah a publié un décret soulignant que la charia islamique devait être appliquée en Afghanistan, y compris les exécutions et les « hudûd » [terme islamique désignant la torture ou les châtiments publics pour un crime, NDLR]. C’est à partir de ce moment que le nombre de tortures et d’exécutions publiques a augmenté.
Le 7 décembre 2022, ils ont exécuté publiquement un homme à Farah en présence de hauts dirigeants talibans dans un stade.
Les victimes sont parfois des membres de la résistance anti-Taliban, parfois des membres de groupes rivaux sont exécutés publiquement, comme ceux de l’État islamique, et beaucoup sont simplement des personnes accusées de petits vols, de trafic de drogue ou d’adultère.
En mars 2023, Amnesty International a appelé publiquement le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies à se pencher sur la détérioration de la situation des droits humains en Afghanistan : « Depuis qu’ils ont pris le contrôle du pays en août 2021, les Taliban ont violé les droits des femmes et des filles à l’éducation, au travail et à la libre circulation, décimé le système de protection et de soutien pour les personnes fuyant la violence domestique, détenu des femmes et des filles pour des violations mineures de règles discriminatoires, et contribué à une augmentation des taux de mariages d’enfants, de mariages précoces et de mariages forcés en Afghanistan. »