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« Sur la défensive, l’État islamique s’organise pour préparer des attaques en Europe »
jeudi 25 mai 2023, par
Entretien.
« Sur la défensive, l’État islamique s’organise pour préparer des attaques en Europe »
Alexis Da Silva
Mis en ligne le 5 mai 2023
Jeudi 4 mai, des partisans de l’État islamique suspectés de préparer un attentat en Belgique ont été arrêtés. Cette opération avortée, quelques jours après l’annonce de la mort du chef de l’organisation terroriste, rappelle la menace qu’elle continue à faire peser. Dans un entretien à « Charlie Hebdo », le chercheur Arthur Quesnay fait le point sur la situation actuelle de l’État islamique.
On espère toujours exterminer ces indésirables, mais ils reviennent à chaque fois, comme des mauvaises herbes. Jeudi 4 mai, la police belge a interpellé sept personnes, principalement des Tchétchènes, présentées comme de « fervents partisans » du groupe État islamique (EI). Suspectés de préparer un attentat en Belgique, ces derniers se livraient à « une recherche active d’armes », selon le parquet fédéral.
Il faut dire que ces fous de Dieu sont en deuil – on les plaint – depuis la mort du chef présumé de l’EI, Abou Hussein al-Qourachi, lors d’une opération menée par les services de renseignement turcs, samedi 29 avril. Quelles en sont les conséquences pour l’EI ? Et qu’est-il devenu depuis la chute de son califat en Syrie, le 23 mars 2019 ? Pour Charlie Hebdo, le docteur en science politique Arthur Quesnay, auteur de « La guerre irakienne. Ordres partisans et politiques identitaires à Kirkouk » (Paris, Karthala, 2021), livre un état des lieux de la présence de l’organisation terroriste au Moyen-Orient et en Europe.
Charlie Hebdo : Que vous inspire la mort en Syrie du chef de l’État islamique, Abou Hussein al-Qourachi, le samedi 29 avril ?
Arthur Quesnay : Ce qui est impressionnant, c’est que les forces turques et de la coalition arrivent régulièrement à frapper les autorités de l’État islamique (EI) à très haut niveau. Cela montre l’efficacité de la machine contre-insurrectionnelle montée par la coalition depuis 2014, qui produit des résultats. Le 4 avril dernier, les Américains ont mené par exemple une opération pour neutraliser l’émir de l’EI en Syrie. Mi-novembre, le prédécesseur d’Abou Hussein al-Qourachi a aussi été neutralisé, mais il s’agissait-là de rebelles syriens. Dans l’ensemble, on peut dire que les Américains et la coalition internationale maintiennent une pression constante sur l’EI, ce qui rend difficile pour ce dernier de constituer un leadership.
Concernant la mort d’Abou Hussein al-Qourachi par les services turcs, on peut se demander si l’opération est liée au calendrier électoral d’Erdogan ou bien au fait que les Turcs ont eu des attaques sur leur territoire, comme celle à Istanbul fin 2022 – bien qu’Erdogan ne l’impute pas à l’EI. Dans tous les cas, tout cela montre que la Turquie, mais aussi la Jordanie, l’Irak ou d’autres pays du Golfe, jouent le jeu pour lutter contre l’organisation terroriste.
À quelles répercussions peut-on s’attendre ?
C’est difficile d’en mesurer l’impact. Ce qui est sûr, c’est que cela désorganise le groupe. L’EI est une structure très organisée, qui prévoit tout de même ce genre de situations. Lorsqu’il y a le décès de leur chef, un rassemblement des cadres par messagers interposés est organisé pour désigner un successeur. Après, la mort de leur leader déséquilibre les rapports de force internes, qui évoluent régulièrement. Actuellement, le groupe se distingue notamment par l’emprise des cadres irakiens. Mais ceux qui étaient autour d’Abou Bakr al-Baghdadi, à la tête du califat en 2014, ont quasiment tous été éliminés. En conséquence, la nouvelle génération de cadres qui monte ouvre un pas vers l’inconnu quant à leur stratégie.
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En dessous de ces équilibres internes, au niveau local, on observe aussi des dynamiques de fragmentation. Souvent il y a des actions qui sont menées sans l’aval des cadres. Les groupes locaux sont organisés en cellules, certains s’occupent du ravitaillement, d’autres de l’administratif ou des combats. On estime au total un millier de combattants et 10 000 personnes qui assurent la logistique entre l’Irak et la Syrie. La mort d’un haut cadre peut augmenter ces dynamiques locales.
Le projet d’attentat en Belgique démontre-t-il que l’EI est présent en Europe ?
À ma connaissance, il n’y a pas de cellules actives en Europe. L’organisation est sur la défensive face à la très forte capacité de la coalition à détecter leur leadership. Par contre, l’EI s’organise pour préparer des attaques en Europe, en mettant en place des camps d’entraînement pour les enfants par exemple, comme celui d’Al Hol en Syrie. Le but est de les endoctriner pour en faire une nouvelle base militante. Dans ces camps, il y a des cours de langues européennes, des cours d’histoire de la civilisation… On sait aussi que l’EI fait passer des combattants en Turquie, dans les vagues de réfugiés, pour faire pénétrer quelques commandos en Europe.
Par contre, en cas de retrait de la coalition de Syrie, on peut faire l’hypothèse que les attaques reprendront. Militairement, les forces démocratiques syriennes formées par le mouvement kurde sont un allié sérieux pour les pays occidentaux, mais le salut politique de cette entreprise est encore incertain. Leur proximité au PKK, ennemi de la Turquie, fait craindre une nouvelle intervention militaire de cette dernière, qui pourrait remettre en cause le dispositif de lutte contre l’EI.
Quelle est la situation de l’EI en Irak et en Syrie ?
À partir de leurs déclarations et d’entretiens que j’ai menés, on peut schématiser leurs zones d’action en trois catégories. La première concerne les zones d’attaque. Elle comporte les territoires disputés d’Irak entre Bagdad et la région autonome du Kurdistan, allant du sud de Mossoul jusqu’à Diyala, près de la frontière iranienne. C’est une zone où il y a peu de coordination entre les forces de sécurité du fait des conflits politiques entre Bagdad et Erbil. L’EI peut attaquer sans craindre en retour des opérations de sécurité. En Syrie, cette zone d’attaque concerne essentiellement le désert au sud de l’Euphrate. Les soutiens russes et les milices pro-iraniennes sont incapables de faire du ratissage, c’est donc là où l’EI se régénère sans difficultés.
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La deuxième zone est celle où l’EI cache ses cadres. Il faut être proche des frontières internationales pour faire circuler les leaders, recevoir de l’argent, etc. C’est par exemple le cas du nord-ouest de la Syrie, à l’exception d’Idlib contrôlée par HTS, un groupe rival en guerre contre l’EI. Comme ce sont des endroits comptant des centaines de milliers de déplacés, il est impossible d’opérer un contrôle très serré de la population.
Il y a enfin les zones où l’EI est en attente, où il réintroduit des hommes et prépare le terrain en attendant de grandes ruptures pour agir, que ce soit des retraits de la coalition ou des déstabilisations politiques. On parle de zones qui sont situées dans le nord-est syrien par exemple, dominé par les forces démocratiques syriennes et la coalition internationale. Il y a beaucoup de cellules de l’EI à Raqqa, où il vise des prisons comme en janvier dernier. En Irak, l’EI est aussi présent dans des grandes villes. Le pays est globalement stabilisé mais les villes sont en expansion du fait de l’exode rural suite à la guerre ; les zones péri-urbaines comptent des centaines de milliers de déplacés, des sortes de bidonvilles que les forces de sécurité ne peuvent pas totalement contrôler.