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Daech en guerre contre Noël

dimanche 21 février 2016, par siawi3

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Source : http://www.nytimes.com/2016/01/02/opinion/daech-en-guerre-contre-noel.html?action=click&contentCollection=opinion&module=NextInCollection®ion=Footer&pgtype=article&version=column&rref=collection%2Fcolumn%2Fkamel-daoud

Contributing Op-Ed Writer

KAMEL DAOUD

JAN. 1, 2016

Oran, Algérie — L’occasion aurait pu faire le bonheur des collectionneurs de présages : pour la première fois depuis presque cinq siècles, l’anniversaire de la naissance du Prophète Mahomet et l’anniversaire de la naissance de Jésus ont coïncidé en 2015. De quoi inspirer de l’espoir ? Si peu, en fait.

Une rude campagne a été menée contre ceux qui fêtent Noël dans le monde musulman. En Algérie, sous l’œil tolérant du régime, les islamistes ont travaillé la rue à bras-le-corps, distribuant des dépliants dénonçant cette fête comme impie, sensibilisant la clientèle dans les pâtisseries contre la vente de bûches et gâteaux, prêchant dans les mosquées. Au Brunei et en Somalie, fêter Noël était passible de prison.

L’argumentaire des islamistes se réduisait à un point essentiel : célébrer les fêtes de fin d’année, c’était vouloir ressembler aux « Kuffar », aux athées, c’est-à-dire surtout aux occidentaux. Il fallait à tout prix chasser le barbu blanc des parages des barbes noires.

Faire remarquer que Noël est la fête de Jésus et que Jésus est un prophète reconnu par la généalogie du Coran n’aurait servi à rien. La cartographie mentale des islamistes est binaire : « Dar el-Islam, Dar el-Koffr » ; terres d’islam contre terres impies. Les islamistes veulent désoccidentaliser le monde arabe.

Est-il permis de fêter la naissance de Bouddha ? Les islamistes ne s’inquiètent pas de cette question-là, tout simplement parce qu’elle ne leur permet pas de jouer sur le sentiment anticolonial et de le travailler pour se légitimer. L’ennemi, c’est l’occident, du fait de sa nature mais aussi de ses agressions militaires et ses prédations économiques. La littérature islamiste rejette l’occident par le biais de la religion, comme terre de croisés et de juifs.

Mais la guerre des calendriers va plus loin encore : elle touche même la naissance du Prophète, pourtant consacrée depuis longtemps. La fête du Mawlid, l’anniversaire de Mahomet, telle que les musulmans la pratiquent aujourd’hui — avec processions, feux d’artifice, plats spéciaux ou habits neufs pour les enfants — est perçue par les puristes comme une déviation folklorique à la doctrine. C’est une « Bid’ah », une innovation. Et qui dit innovation dit dissidence, renversement et révolution : pour les islamistes, particulièrement les wahhabites, derrière toute nouveauté se cache le diable.

Fêter un anniversaire, même celui d’un prophète, c’est aussi accepter le Temps, mais les islamistes, eux, fantasment sur l’éternité. A leurs yeux le Temps lui-même est un crime, puisque c’est un écart par rapport à l’islam originel. La restauration est donc le second mythe fondateur des islamistes. Leur but est de revenir au temps zéro. Au temps de la Révélation, lorsque le Prophète était encore vivant et Dieu si proche de son oreille. Au temps où l’islam n’était pas encore sali. Au temps d’avant la contamination par l’Histoire et la « Fitna », premières guerres de dissidences qui ont suivi la mort de Mahomet.

Cette recherche de la pureté explique aussi le rapport des islamistes à l’espace physique. En plus de la conquête de territoire, Daech cherche à nier et détruire la preuve du temps écoulé, représenté par les monuments et les ruines, à Palmyre et ailleurs. Daech veut étendre le domaine du désert : remplacer les murs par le sable, aplanir le paysage, revenir au vide afin de pouvoir reprendre l’histoire par le début.

Le mythe de la purification n’est pas le propre des salafistes uniquement. On le retrouve dans d’autres mouvements utopistes et totalitaires, ainsi que parmi certains ennemis des salafistes, comme les partis d’extrême droite d’aujourd’hui. Tous partagent le même fantasme d’un retour à un (imaginaire) état originel et pur.

Pour l’extrême droite en France, par exemple, il s’agit de revenir à la souche, de restaurer la terre des ancêtres gaulois à ce qu’elle était avant le déferlement de l’immigré, de l’étranger, en invoquant les figures mythiques de Jeanne d’Arc ou de Charles Martel. Même réflexe de glorification de la géographie et de négation du Temps que chez les islamistes.

Islamistes et extrême droite partagent aussi un rapport à la femme embarrassé. Pour les islamistes, la femme est source du mal : elle représente le corps, le charnel, et donc sépare l’homme de Dieu. Pour le militant de base du Front National, la femme moderne est source du trouble dans la société. Il prône une politique à la fois nativiste et nataliste, aux relents féodaux, qui fait l’éloge de la femme au foyer faiseuse d’enfants. Ceci alors même que le parti est mené par deux femmes. Une contradiction similaire est visible chez les islamistes : leur discours rétrograde et sexiste est souvent défendu par des femmes, couvertes, qui vantent le voile comme outil de libération.

Les parallèles sont tels que certains accusent l’extrême droite de faire le jeu des islamistes en encourageant elle aussi une rupture au sein de la société occidentale. Après le premier tour des dernières élections régionales en France, pays-éprouvette de la fausse confrontation entre ces deux camps, un caricaturiste avait dessiné un salafiste hurlant « On a gagné ! » à propos des avancées record du Front national aux urnes.

Noël a coïncidé avec le Mawlid en 2015, pour la première fois depuis plusieurs siècles. Mais ce hasard ne mettra pas fin à la guerre des calendriers. Bien au contraire. Il aura plutôt mis en exergue les points communs entre extrémistes musulmans et extrémistes de droite, qui souvent restent occultés. Les deux camps se nourrissent l’un de l’autre, se renforçant mutuellement.

On pourra rétorquer que des deux groupes seuls les islamistes tuent. C’est généralement vrai, tant qu’il s’agit d’hommes. Mais l’extrême droite tue l’humanisme, pourtant la seule chose qui pourrait tous nous sauver.

Kamel Daoud, chroniqueur au Quotidien d’Oran, est l’auteur de “Meursault, contre-enquête.”