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Canada/Québec : Fiscalité et religion : la neutralité s’impose
mardi 30 juillet 2019, par
Source : https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/556317/fiscalite-et-religion-la-neutralite-s-impose
Fiscalité et religion : la neutralité s’impose
Manon Cornellier
8 juin 2019
Éditorial
Un des objectifs fondamentaux de la loi sur la laïcité (PL21) du gouvernement Legault est la réaffirmation du caractère laïque de l’État du Québec. Cette oeuvre restera cependant largement inachevée si ne sont pas aussi passés en revue les programmes à travers lesquels le gouvernement encourage le fait religieux. Et comme l’a montré le dossier publié dans nos pages, la fiscalité doit être première dans la ligne de mire.
Il est difficile de comprendre comment on peut inscrire ce statut laïque de l’État québécois dans la Charte des droits et libertés de la personne, réaffirmer la séparation de l’État et de la religion et l’égalité de tous les citoyens, et renoncer chaque année à des centaines de millions de dollars en revenus fiscaux au profit d’organisations religieuses. C’est pourtant ce que fait Québec.
Tout part de l’attribution du statut d’organisme de bienfaisance enregistré (OBE) qui permet aux donateurs de bénéficier d’un crédit d’impôt. Selon la définition d’Ottawa, qui accorde ce statut, un OBE peut avoir pour fins le soulagement de la pauvreté, l’avancement de l’éducation, l’avancement de la religion ou « toutes autres fins bénéfiques pour la collectivité ».
Par souci d’harmonisation des règles fiscales, Québec s’en remet à la décision de l’Agence canadienne du revenu en la matière. Mais ce statut vient avec des avantages qui vont au-delà du crédit d’impôt. On parle d’exemption d’impôt sur le revenu, de congé d’impôt foncier, de taxes municipales et scolaires et de récupération d’une partie des taxes de vente.
Selon les estimations réalisées par le professeur de droit de l’Université de Sherbrooke Luc Grenon, les crédits d’impôt aux organismes religieux ont à eux seuls privé Ottawa de 1,57 milliard de dollars en 2007. Toujours selon les recherches du professeur Grenon, les OBE religieux canadiens ont récolté en 2010 environ 40 % des dons admissibles au crédit d’impôt.
L’ensemble des mesures fiscales en faveur des OBE religieux coûterait au Québec quelques centaines de millions de dollars. Selon la dernière estimation annuelle obtenue par Le Devoir, les taxes municipales et scolaires ainsi perdues totaliseraient à elles seules 182,3 millions.
Le statut d’OBE a vu le jour au tournant de la Grande Dépression afin d’encourager la générosité des citoyens envers des organismes offrant un bénéfice à la société. Le hic est que plus de la moitié des OBE religieux consacrent toutes leurs ressources ou presque à des activités liées à la foi et au culte, selon une étude du professeur Grenon réalisée en 2013. Où est le « bénéfice public tangible », demandait-il avec justesse ?
Les tribunaux, largement inspirés par la common law mais armés surtout d’une loi aux définitions trop vagues, ont déterminé au fil des ans que l’avancement de la religion était un « bienfait » pour la communauté. Rien n’interdit cependant au législateur de resserrer la loi et à Québec de choisir ses règles.
C’est de lui que relève l’encadrement de la fiscalité municipale et scolaire. Actuellement, les lieux de culte et certains autres édifices religieux sont exemptés de ces taxes. Cet accommodement est l’héritage d’une époque où l’Église assurait une foule de services de base et où les paroisses tenaient lieu d’administrations locales. La Révolution tranquille a scellé leur sort et les exemptions, au départ d’une portée très large afin de permettre aux communautés de s’ajuster, n’ont plus leur raison d’être.
En plus, elles donnent des maux de tête aux municipalités, dont la principale source de revenus est l’impôt foncier. Certains élus, comme la mairesse de Boisbriand, ont demandé récemment qu’on réexamine ces congés de taxes. Cette requête ne date pas d’hier. En 1979, l’Union des municipalités recommandait déjà qu’on les limite.
Ces appels doivent être entendus. Ottawa doit revoir sa définition de l’organisme de bienfaisance et Québec, cesser de s’en remettre au fédéral pour décider des avantages offerts aux OBE. Il doit en exclure les organismes religieux n’offrant aucun service ou bénéfice tangible à la communauté.
En renonçant à ces revenus, les gouvernements sont obligés de combler le manque à gagner en pigeant dans les poches de tous les citoyens, qui se retrouvent ainsi à financer, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils soient athées ou non, des religions et des sectes. C’est inéquitable. Et incohérent de la part d’un État censé être religieusement neutre.
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Source : https://www.ledevoir.com/societe/556295/groupes-religieux-plus-de-182-millions-de-taxes-non-percues
Plus de 182 millions en taxes non perçues
Le prix de la foi
Stéphane Baillargeon et Magdaline Boutros
8 juin 2019
Près de deux millions de visiteurs. Des revenus totalisant 18 millions de dollars en 2017, et un site évalué à 63,5 millions. Et pas un sou versé en taxes foncières. L’oratoire Saint-Joseph — comme tous les lieux de culte et édifices de communautés religieuses au Québec — bénéficie d’un congé de taxes municipales.
À l’échelle du Québec, 4922 lieux de culte et établissements appartenant à des communautés religieuses sont exemptés, en tout ou en partie, de taxes municipales et scolaires. Selon les chiffres du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation obtenus par Le Devoir, le montant de taxes non perçues totaliserait 182,3 millions de dollars, dont 20,1 millions en taxes scolaires et 162,2 millions en taxes municipales.
En déposant le projet de loi sur la laïcité de l’État, Simon Jolin-Barrette, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, déclarait que celle-ci devait être inscrite « comme principe formel, comme valeur fondamentale et comme outil d’interprétation des lois du Québec ».
Pourtant, aucune remise en question de l’article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale — conférant aux lieux de culte et immeubles des institutions religieuses une exemption de taxes foncière, municipale et scolaire — n’est sur la table.
« L’État n’est pas neutre, avance Luc Grenon, professeur en droit fiscal à l’Université de Sherbrooke. Si on compare une religion par rapport à une autre, oui, l’État est neutre. Mais si on compare les croyants et les non-croyants, l’État n’est pas neutre. Il finance les organisations religieuses. »
Signe que le sujet est délicat, la Coalition avenir Québec, le Parti libéral du Québec et le Parti québécois ont refusé de nous donner des entrevues à ce sujet. Seul Québec solidaire a répondu à nos questions. « Le projet de loi 21 est davantage sur l’interdiction des signes religieux que sur la laïcité », fait remarquer le député Sol Zanetti, ouvert à discuter de l’abolition des privilèges fiscaux accordés aux religions.
Vendredi à Québec, le ministre Jolin-Barrette s’est limité à dire que « le projet de loi 21 ne traite pas des mesures fiscales associées aux municipalités ; c’est un tout autre dossier qui relève des Affaires municipales ».
Mille lieux de culte
La Ville de Montréal dit ne pas comptabiliser la valeur des taxes foncières qui lui échappent pour les 737 lieux de culte et 272 immeubles de communautés religieuses parsemés sur son territoire. Ces édifices représentent un capital foncier avoisinant les 2,2 milliards de dollars.
Pour chiffrer ce soutien financier offert aux religions, Nicole Vermette, une retraitée de l’enseignement, s’est attelée à la tâche de lier tous les lieux de culte de l’île de Montréal à leur évaluation foncière. Résultat ? Des exemptions totalisant plus de 110 millions de dollars seraient accordées aux seuls lieux de culte (sans compter les édifices des communautés religieuses) sur l’île de Montréal.
« C’est inconciliable avec la vision laïque de l’État québécois », dénonce-t-elle.
Une exemption historique
L’exemption de taxes consentie aux communautés religieuses remonte au début de la colonie, alors que ces dernières offraient divers services à la population, notamment en éducation, en santé et pour les soins aux aînés. La mission dévolue aux religieux a changé, sans que les avantages fiscaux qui y étaient liés soient revus.
« Ces exemptions ont toujours représenté une charge assez lourde pour les municipalités, mais elles l’assumaient parce que ces édifices, accessibles à la population, faisaient partie de la vie collective », explique Danielle Pilette, professeure spécialisée en fiscalité municipale au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM.
Dotés d’une forte valeur foncière, ces établissements — souvent les plus imposants d’une municipalité — ont fréquemment été construits en hauteur ou sur le bord de l’eau dans des secteurs prisés des petites et grandes villes.
Pour Danielle Pilette, l’oratoire Saint-Joseph est l’exemple le plus criant de commercialisation d’un lieu de culte. « L’Oratoire — devenu un lieu touristique prisé — pourrait très bien assumer le paiement des taxes municipales. » Seul l’hôtel Pavillon Jean XXIII, situé sur le site de l’Oratoire, paie une compensation en lieu de taxes. Les responsables de l’Oratoire n’ont pas donné suite à la demande d’entrevue du Devoir.
Mais l’experte en fiscalité municipale affirme que l’iniquité fiscale créée par l’exemption de taxes accordée aux groupes religieux est en partie compensée. Des communautés regroupent leurs religieux aînés au même endroit, et leur offrent des services de santé. « Les religieux aînés se retrouvent donc dans un hébergement institutionnalisé, au lieu d’un hébergement public. »
Reste que pour mettre fin à ce régime qui « fait subventionner les religions par les municipalités », Danielle Pilette suggère que Québec compense les municipalités pour les taxes non perçues comme il le fait pour les écoles, les cégeps, les universités et les établissements de santé. « Si l’État québécois se dit laïque, il sera peut-être plus restrictif », souligne-t-elle.
Touche pas à mon église
Quand la Loi sur la fiscalité municipale a été adoptée en 1979, le Parti québécois était aux commandes. À l’approche du référendum de 1980, « on peut penser que le gouvernement ne souhaitait pas affronter les communautés religieuses, encore importantes à cette époque », relève Mme Pilette.
Depuis, l’appétit politique pour une telle réforme est tout aussi absent. « Il y a une sorte de statu quo, notamment par crainte que le patrimoine [cher d’entretien] soit privatisé », pointe l’experte.
En plus, « les communautés religieusesmontantes sont issues de la diversité et non plus du culte catholique », ajoute-t-elle, ce qui rend toute tentative de réforme encore plus périlleuse. « Aucun gouvernement ne veut donner l’impression de s’attaquer aux communautés culturelles. »
Une pétition pour abolir ces exemptions, déposée à l’Assemblée nationale en 2017, n’a pas franchi le cap des 3000 signataires. « Les non-croyants ne sont pas organisés, ils ne constituent pas un lobby puissant », fait remarquer Luc Grenon.
Pendant ce temps, de petites églises font leur apparition dans le paysage québécois. À l’intersection des rues Papineau et Beaubien, dans le quartier Rosemont à Montréal, quatre églises évangéliques de quelques centaines de membres sont situées à quelques mètres de distance. Pourquoi ne pas les regrouper en un seul et même lieu ?
« La question est légitime, répond Gabriel Jean-Baptiste, pasteur à la Première Église Pentecôte française renouvelée, sise avenue Papineau, qui compte 140 fidèles. Mais les énoncés de mission sont différents pour chacune de ces églises. Et les fidèles aiment appartenir à de petites communautés, aiment avoir cette proximité. »
Selon le pasteur Jean-Baptiste, il faut briser cette image selon laquelle les religions « font perdre des millions de dollars aux contribuables ». « Une église contribue à la société, aide les gens dans leur quotidien », argue-t-il.
Religion ou pas ?
Par le biais de congés de taxes foncières, les contribuables municipaux se trouvent à aider de nouveaux groupes religieux ou encore des communautés qui doivent se défendre d’être des sectes.
Selon une estimation, la valeur foncière des salles du royaume utilisées par les témoins de Jéhovah à Montréal s’établirait à plus de 20 millions de dollars. Dans un échange de courriels avec Le Devoir, le porte-parole Matthieu Rozon affirme que le groupe — qui compte 23 000 membres au Québec — est une religion poursuivant une mission de bienfaisance. Les témoins de Jéhovah aident « le public à faire face aux défis contemporains tels que la dépression juvénile, l’intimidation dans les écoles, la toxicomanie, le crime », précise-t-il.
Sans activités commerciales et dépendant entièrement de contributions volontaires, « il est possible que notre capacité à oeuvrer de cette façon soit réduite [si] les dispositions fiscales offertes aux organismes de bienfaisance [étaient abolies] », mentionne le porte-parole des témoins.
En 2017, la municipalité de Prévost dans les Laurentides a réussi à révoquer le congé de taxes municipales de près de 4000 $ dont jouissait le sanctuaire Point de vie, un groupe religieux ne comptant que deux membres.
« Parfois, il y a des religions qu’on ne connaissait pas de prime à bord, des groupes qui se rajoutent avec de petits nombres de membres », fait remarquer Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), qui représente environ un millier de municipalités de moins de 25 000 habitants.
Celui-ci souhaiterait que les règles permettant de reconnaître une religion comme telle soient resserrées. « Mais pour le patrimoine religieux, on accepte que les églises et les presbytères de nos villages soient soutenus financièrement pour garder ces bâtiments patrimoniaux en état. »
L’Union des municipalités du Québec (UMQ) se fait plus discrète sur la question. L’enjeu ne fait pas partie du « calendrier de réflexion », indique Patrick Lemieux, conseiller aux communications. « Notre priorité actuelle est la négociation du prochain pacte fiscal. »
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Source : https://www.ledevoir.com/societe/556296/faut-il-payer-pour-la-foi
Faut-il payer pour la foi ?
Le prix de la foi
Stéphane Baillargeon et Magdaline Boutros
8 juin 2019
L’État soutient financièrement « l’avancement de la religion ». Par le biais de l’octroi du statut d’organisme de bienfaisance (OBE), plus de 32 000 groupes enregistrés au pays, dont 4330 au Québec seulement, bénéficient en date de mai 2019 d’une kyrielle d’avantages fiscaux parce qu’ils oeuvrent à la promotion d’une religion.
Selon les plus récentes données de l’Agence de revenu du Canada (ARC), dans l’ancienne priest-ridden province, le christianisme remporte la part du lion de ce nombre avec 3045 enregistrements, suivi par le judaïsme (113) et l’islam (50).
Par contre, la liste ne compte aucun organisme de bienfaisance interreligieux ou oecuménique. Les OBE du Québec luttant contre la pauvreté sont au nombre de 3701, et 2568 autres oeuvrent en éducation. L’ARC ne fournit pas le nombre de membres des groupes enregistrés, ces renseignements étant jugés confidentiels. Dans les faits, il est possible de former un groupe religieux qui ne compte qu’un seul membre.
Des avantages remis en question
Le précieux statut d’OBE accordé par l’ARC permet d’être exempté de l’impôt, de remettre des reçus pour dons de bienfaisance, de se faire rembourser une partie des taxes à la consommation (TVQ et TPS), et même aux membres du clergé de déduire des allocations de logement.
« Le financement étatique de la religion peut difficilement se justifier », commente le professeur de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke Me Luc Grenon, spécialiste de la fiscalité et auteur de plusieurs textes de référence et des rares études exhaustives réalisées pour tenter d’y voir clair dans les principes et les conséquences concrètes de ces statuts et privilèges.
Si on enlève l’aide financière aux religions, ça va ruer dans les brancards. L’État n’est pas neutre. Financer, c’est un acte positif pas mal plus important comme geste de l’État que d’interdire le port de signes religieux. Financer, ça touche tout le monde, alors que des signes religieux, désolé, les gens du Saguenay ou de la Beauce n’en voient pas beaucoup.
— Luc Grenon
Pour être reconnu comme OBE, explique le spécialiste, il faut deux choses : procurer un bienfait public et poursuivre une mission de bienfaisance reconnue. La loi reconnaît quatre fins de bienfaisance : le soulagement de la pauvreté ; l’avancement de l’éducation ; l’avancement de la religion ; et « toutes autres fins bénéfiques pour la collectivité », notamment la recherche ou la protection de l’environnement.
La vérification du bien-fondé d’une nouvelle inscription et des activités menées par les OBE est faite par les employés de l’ARC lors de recherches sur le Web et parfois des visites en personne, a indiqué l’Agence par écrit (deux demandes d’entrevues de vive voix ont été refusées). Le contrôle s’effectue aussi par le biais des rapports annuels fournis par les OBE, similaires à celui imposé aux contribuables.
Ce faisant, de 50 à 60 % des demandes pour obtenir le statut d’organisme de bienfaisance sont acceptées chaque année. « Puisque l’Agence prône une approche axée sur l’éducation et que la grande majorité des organismes de bienfaisance enregistrés respectent les exigences liées à l’enregistrement, seul un petit nombre d’entre eux perd son statut à la suite d’une vérification », dit le courriel au Devoir.
La religion, un bienfait public ?
En droit canadien, le bienfait public est présumé pour les trois premières activités, sans besoin d’en faire la preuve. « Pour la lutte contre la pauvreté, on comprend aisément le bienfait public, dit le professeur Grenon. Mais pour la religion ? C’est quoi alors, un bienfait public ? Ici, la religion se résume à la foi et au culte. C’est la religion en soi qui est l’activité de bienfaisance. C’est croire, le critère. Une organisation de soeurs cloîtrées qui ne font rien d’autre que prier est donc présumée travailler pour le bienfait public. »
Pour le professeur Grenon, le fondement philosophico-politique de cette idée est « truffé d’incohérences et est irrationnel ». Il constate que les gens demeurent convaincus que les organisations religieuses oeuvrent encore à la bienfaisance, comme elles l’ont fait en s’occupant des écoles, des hôpitaux, des orphelinats avant l’émergence de l’État providence.
« Le bien qui a été fait a été fait, y compris pour faire du prosélytisme », dit-il. Il s’interroge tout de même sur les arguments déployés pour justifier les avantages fiscaux, qui se résument à trois grands axes : les services, la générosité et la cohésion sociale.
La seule étude empirique réalisée sur les services en examinant les déclarations de quelque 1100 OBE religieux auprès de l’Agence du revenu du Canada démontre qu’un organisme sur deux déclare purement et simplement ne pas procurer de bénéfice public.
Quant à la générosité, on avance souvent l’argument que les gens religieux sont plus généreux, donnent plus et font plus de bénévolat. Vérification faite par le professeur Grenon, oui, ils donnent plus et s’impliquent davantage. Mais d’abord et avant tout au profit de leurs propres groupes religieux.
L’argument de la cohésion et de l’utilité sociale fait aussi sourciller. « À l’intérieur de la communauté religieuse, probablement, dit le professeur. Mais dans une perspective plus globale ? Pas certain. » L’organisation de soccer amateur A.Y.S.A. a d’ailleurs tenté d’obtenir le statut d’OBE auprès de l’ARC. La cause a été portée sans succès jusqu’en Cour suprême en 2007. Le plus haut tribunal du pays a aussi rejeté en 1999 l’enregistrement de la Vancouver Society qui offrait des services aux immigrants, d’avis que ses activités n’étaient pas exclusivement de bienfaisance.
Photo : Courtoisie Me Luc Grenon
Sous le couvert de la bienfaisance
La bienfaisance a bonne réputation parce que les organismes d’aide font effectivement beaucoup de façon bénévole pour la société, grâce à des fonds publics et privés, et pallient par moments les ratés de l’État providence. Or, la religion se réfugie derrière le paravent de la bienfaisance sans offrir les mêmes services. Et certaines organisations religieuses profitent de l’excellente réputation forgée par d’autres organisations religieuses réellement investies dans l’aide aux démunis. « La Fondation du cardinal Léger en fait, des bonnes oeuvres, et l’organisation du père Pops, Le bon dieu dans la rue aussi », relève Luc Grenon.
Ce dernier propose rien de moins que de sortir la religion de la bienfaisance, et de baliser ensuite légalement l’aide aux organisations religieuses après une discussion publique. Le soutien public pour l’entretien des lieux de culte patrimoniaux, déjà existant, pourrait aussi être revu dans ce cadre.
« Ça me semble souhaitable, mais ça n’arrivera jamais, ou en tout cas pas tout de suite […] politiquement, ce n’est pas rentable, dit le professeur. Si on enlève l’aide financière aux religions, ça va ruer dans les brancards. L’État n’est pas neutre. Financer, c’est un acte positif pas mal plus important comme geste de l’État que d’interdire le port de signes religieux. Financer, ça touche tout le monde, alors que des signes religieux, désolé, les gens du Saguenay ou de la Beauce n’en voient pas beaucoup. »
Quelle réforme ?
Les lois qui régissent la bienfaisance au Canada remontent à l’Angleterre du début du XVIIe siècle, quand les religions formaient le seul filet de sécurité sociale, ou presque. Des tentatives de réformes ont vu le jour au pays ces dernières années. Un groupe fédéral d’experts sur la transparence et la saine gestion dans le secteur bénévole a déposé un rapport en 1999, mais sans jamais remettre en cause la faveur fiscale accordée aux religions. La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise de 2015 a proposé de ne mettre fin qu’à un seul élément, l’allocation pour logement des religieux. Une déduction accordée à 1692 personnes en 2017 par Revenu Québec, pour un total de plus de 18 millions (11 315 $ par bénéficiaire). Le président de la commission, Luc Godbout, a décliné nos demandes d’entrevues.
Mais des choses bougent. Un comité sénatorial, dont le rapport est attendu en juin, se penche depuis un an sur « l’impact des lois et politiques fédérales et provinciales gouvernant les organismes de bienfaisance ». Plus de 150 témoins ont été entendus.
Le comité a étudié la situation d’autres pays du Commonwealth, dont l’Angleterre, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, qui ont récemment revu leurs lois pour mieux définir ce qu’est la bienfaisance. Selon la sénatrice canadienne Ratna Omidvar, les lieux de prière et de recueillement « continuent de jouer un rôle important dans beaucoup, beaucoup d’endroits au pays », offrent souvent des services d’entraide et forment « une part du tissu social ». Si Ottawa décidait de « moderniser » les catégories reconnues en bienfaisance, dit-elle, « on entrerait dans une autre discussion ».
Une loi discriminatoire ?
Pour la British Columbia Humanist Association, qui a déposé un mémoire devant le comité sénatorial, la loi canadienne est discriminatoire à l’endroit des philosophies et des visions du monde non religieuses. Le groupe, qui représente des athées et des agnostiques, veut que la loi soit modifiée pour « créer un cadre adapté aux réalités modernes du secteur de la bienfaisance ». Plutôt que prendre en compte « l’avancement de la religion », le groupe propose d’axer la loi sur le travail caritatif accompli, notamment pour lutter contre la pauvreté. On reconnaîtrait ainsi « le caractère laïque du Canada », affirme son mémoire.