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Algérie : Commémoration des événements tragiques de 1988 Pas de fleurs pour le 5 Octobre !

lundi 7 octobre 2019, par siawi3

Source : https://www.facebook.com/695292015/posts/10156241768532016/?sfnsn=mo

posté par Cherifa Kheddar
20 h ·

Commémoration des événementstragiques de 1988
Pas de fleurs pour le 5 Octobre !

L’imposant dispositif policier déployé autour de la place des Martyrs laissait entrevoir les contours d’une interdiction de la cérémonie de commémoration des événements du 5 octobre 1988, à laquelle ont appelé plusieurs collectifs et organisations.

Le quadrillage de l’esplanade des martyrs ressemble au dispositif que connaissent les étudiants depuis deux mardis consécutifs. Des camions de troupes de part et d’autres, des 4x4 et trois immaculés fourgons cellulaires. Il est 10 h. C’est l’heure donnée par des activistes du Hirak du vendredi matin, alors que l’information ayant le plus circulé sur la toile, prévoyait le dépôt d’une gerbe de fleurs à 12h30, place des martyrs…

Les contrôles d’identité sont systématiques s’agissant de jeunes, devenus potentiellement des manifestants. Parfois, le contrôle touche même les plus vieux et même les femmes. Ces dernières sont interceptées par des femmes policières. Et si le plus souvent, les échanges se déroulent de façon cordiale, il arrive parfois que cela dégénère comme cela a été le cas aux alentours de 10h50 où l’image d’une femme policière plaquant au sol une jeune demoiselle, s’offre aux passants incrédules. La jeune dame se débat, crie, elle est en larmes. C’est une habituée du Hirak estudiantin, mais pas de celui du vendredi car ses parents ne veulent pas la laisser sortir ce jour-là… Aujourd’hui, elle pensait venir rendre hommage aux victimes de ce 5 octobre 88 qu’elle n’a pas connu, mais dont elle a entendu raconter bien des histoires et des faits.

Alors que l’interpellation brutale et démesurée continue à l’intérieur du hall du métro, Khaled Drareni, journaliste, suspecté par des policiers de vouloir immortaliser à l’aide de son smartphone cet instant de déni, est vigoureusement entouré de policiers qui lui confisquent son smartphone et l’embarque dans l’un des fourgons cellulaires stationnés à proximité. Il est relâché au bout de dix minutes, mais surveillé de près. De très près même . Comme tous les journalistes présents sur les lieux d’ailleurs. Au point où, pour peu qu’un ou des citoyens ayant reconnu tel ou tel journaliste pour le saluer, s’en approchent, ils risquaient fort de se faire durement contrôler…
La tension est perceptible. Les policiers sont sur le qui-vive. On approche de midi et de l’heure annoncée pour le rassemblement. A un moment, au sortir du métro, un type est au téléphone, probablement avec son épouse qui devait l’attendre quelque part sur l’étendue de la place des martyrs. Il lui demande où est-ce qu’elle est ? A la réaction du mari : « Il y a quarante fourgons de police comment veux-tu que je sache lequel ? » on devine aisément la réponse de l’épouse. Un policier qui contrôlait à ce moment-là le sac d’un jeune adossé à l’ombre du hall du métro, l’entend et lui jette un regard sévère avec une méchante envie de le contrôler…

Autour du kiosque à musique, les nombreux citoyens assis sur le rebord du jardin circulaire sont priés de quitter les lieux. Tout rassemblement de plus de deux personnes devient suspect. Un essaim bleu s’abat sur la place des Martyrs où seuls les pigeons y ont droit de cité.

Interpellations tous azimuts

Ce dispositif et ces dispositions liberticides n’empêchent pas quelques personnes, dont des journalistes, de se masser à l’autre bout de la place, côté est, aux abords de la rue Bab Azzoun. Il y a là des familles de détenus d’opinion, des sympathisants, des universitaires et des militants de partis politiques dont Fethi Gherras accompagné de son épouse et non moins militante. Il y a aussi Me Aouicha Bekhti.

Un jeune traverse la place d’un pas alerte, arrivé devant un groupe d’activiste du Réseau de lutte contre la répression, il leur lance sans s’arrêter : « Arezki Challal vient d’être arrêter à sa descente de taxi » et il s’engouffre sous les arcades de la rue Bab Azzoun. Arezki Challal est le père d’un des détenus porteurs de drapeau amazigh et président du collectif des parents de détenus. Fallait-il s’en étonner ? Au vue de l’armada déployée place des martyrs, certainement pas. Pis encore, au regard de la suite immédiate des événements.

Redéploiement en éventail des forces de police avec un effet épouvantail assuré. Omar Abed, parent de détenu et emmené manu militari vers le commissariat du 3e arrondissement à quelques dizaines de mètres de la place des Martyrs. Fethi Ghares est interpellé à son tour. D’autres militants également. Et alors que les policiers poussent les derniers citoyens vers les arcades de la rue Bab Azzoun, une dame filme tranquillement la scène avec son smartphone. Il lui est brutalement enlevé de la main. Des femmes policières sont appelées à la rescousse pour la prendre en charge, direction le commissariat de police. Khaled Drareni, encore lui, est dans les parages. Un policier l’accuse de vouloir prendre des photos ou une vidéo avec son smartphone. Il est emmené, lui aussi, au commissariat.

Maître Aouicha Bekhti finira également au même commissariat. Elles y seront une quinzaine de femmes et autant d’hommes. En plus de Drareni, d’autres journalistes sont dans le lot des interpellés : Linda Abbou, journaliste à Maghreb Emergent ainsi qu’un journaliste et son cameramen de la TV El Horra.

Place des Martyrs, on interpelle pour le moindre smartphone à la posture équivoque. Zafira Ouartsi, d’Artissimo, envoyait un sms lorqu’elle a été interpellée…

Plus haut, du côté de la mosquée Katchawa, un petit groupe de manifestants et d’étudiants tentent une marche pour déboucher rue Debbih Chérif et partant vers Larbi Ben M’hidi. En vain. Ils sont encerclés et dispersés, brutalement par la police. Un étudiant fait les frais de cette brutalité : Boualem, des études en droit et animateur du Hirak du mardi. Bousculé, son tee-shirt déchiré, il est arrêté par les policiers avec d’autres anonymes. Il sera relâché quelques heures plus tard.

Des roses et des mots pour octobre

Les rescapés de la rafle de la place des Martyrs se donnent le mot : « Rendez-vous devant la Fac Centrale pour une célébration symbolique du 5 octobre. Sans la gerbe de fleurs et les banderoles commandées pour la circonstance, confisquées par la police dans un café aux abords de la place des Martyrs. Il faudra improviser. On envoie acheter quelques roses.
Entre-temps, on apprend la libération des journalistes, des parents de détenus et des femmes interpellées dont Aouicha Bekhti, raccompagnée jusqu’à son véhicule par un agent en civil. Il en fut de même pour Fethi Ghares, raccompagné quant à lui, jusqu’au siège du MDS.

La stratégie était claire en ce jour anniversaire. Point de commémoration, point de rassemblement. Les interpellations et les arrestations relevaient davantage de la démarche de dissuasion que de l’acte de répression. Avec le doigté en moins.

Citoyens, étudiants, parents de détenus et même enfants en bas âge de détenus, se rassemblent devant le grand portail de la Fac Centrale donnant sur la rue Didouche Mourad. Il y a là la famille Aouissi. Celle de Semallah. Challal et Abed prennent la parole, racontent les péripéties de ce jour et appellent « à plus de mobilisation surtout autour de la question des libertés démocratiques et surtout à venir nombreux soutenir le sit-in hebdomadaire en faveur des détenus qui a lieu au tribunal de Sidi M’hamed ».

Des jeunes qui chahutaient un concert de rue en face, rejoignent le rassemblement et, à la vue des affiches des détenus, implorent Dieu de leur redonner la liberté et lancent : « On emprisonne la jeunesse et vous voudriez que nous arrêtions de nous droguer ? Nous avons trop mal ! » Ils sont compatissants et à la fois admiratifs devant le courage des détenus et de leurs parents.

Les fleurs arrivent. Les policiers aussi. Mais le rassemblement est trop peu important pour nécessiter les grands moyens. Les manifestants ont juste le temps de déposer les roses devant la grille cadenassée, puis de les accrocher dans le grillage du portail en fer forgé. On chante Qassaman. Des youyous, puis des slogans de liberté et de démocratie, avant que les policiers ne commencent à évacuer les lieux calmement. Sans interpellations. Avant de quitter les lieux, un étudiant aura cette réflexion : « Ils ont réussi, aujourd’hui, à nous interdire de célébrer le 5 octobre, mais savent-ils que depuis sept mois, nous le célébrons chaque vendredi et chaque mardi ? ».

Zoheïr Aberkane