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Afrique : Parc national W : « Les jihadistes ont transformé la région en quartier général »
vendredi 10 mars 2023, par
Afrique :
Parc national W : « Les jihadistes ont transformé la région en quartier général »
Publié le : 24/02/2023 - 07:29
Comment contenir la poussée jihadiste dans le parc W ? L’organisation International Crisis Group (ICG) vient de publier un rapport sur la question. Le parc W est une immense réserve naturelle de plus de 10 000 km², s’étendant sur le Burkina Faso, le Niger et le Bénin. Depuis plusieurs années, des groupes jihadistes se sont installés à l’intérieur, et les trois États ont bien du mal à contenir leur poussée.
Entretien avec Ibrahim Yahaya Ibrahim, analyste à l’ICG et principal auteur du rapport.
Ecoutez ici 04:40
Les groupes jihadistes utilisent les pistes et les rivières du parc W pour faire de la contrebande (image d’illustration). © Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Marco Schmidt
RFI : Ibrahim Yahaya Ibrahim, comment les islamistes ont-ils réussi à s’implanter dans ce parc W et pour quelle raison ?
Ibrahim Yahaya Ibrahim : Depuis 2018, deux groupes jihadistes dont la Katiba Ansarul Islam et la Katiba Serma, tous deux affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), ont mené des incursions. Ils sont très présents dans la partie burkinabè du parc. Ils ont installé des bases, souvent autour de points d’eau. Souvent, ils bougent d’un endroit à un autre en fonction de la disponibilité de l’eau, mais aussi pour des raisons stratégiques. Ils font des incursions à l’intérieur du Niger. On les voit souvent dans la partie béninoise. Des rangers béninois se sont reculés d’une bonne partie de leurs emprises pour ne contrôler que les zones périphériques.
Comment ont-ils réussi à s’implanter aussi fortement dans le parc ?
Il faut souligner trois facteurs qui sont importants. Le premier, c’est le ressentiment des populations vis-à-vis de la politique de consommation et l’expulsion de ces populations a cristallisé le ressentiment. Le deuxième facteur est lié à la compétition autour de ressources naturelles qui s’est accentuée ces dernières années. On se rappelle des sécheresses. Et celles-ci ont poussé les populations des zones arides du Sahel vers le pourtour du parc. Les jihadistes ont utilisé cet argument et ils disent que du moment où ils ont pris le contrôle de ces forêts-là, ils vont retourner ces forêts sous le contrôle des populations locales. Cette compétition a généré des conflits. Ils exploitent ce conflit pour recruter localement.
Aujourd’hui, à quoi le parc W sert dans la stratégie des insurgés ?
Ils ont transformé le parc en une sorte de quartier général, ou au moins c’est une base opérationnelle. Ils profitent du fait que le parc est difficile d’accès aux forces de défense et de sécurité pour installer des camps qui sont souvent cachés sous des épaisses couches d’arbres les rendant invisibles aux drones et aux avions militaires. Le parc est devenu aussi une source importante de revenus. Les jihadistes utilisent un intense réseau de pistes et de rivières qui traversent le parc pour faire de la contrebande. Ils stockent aussi du bétail qu’ils ont razzié et ils organisent la vente de ce bétail dans de nombreux marchés ruraux à bétail qui existent dans la zone. En plus de cela, ils prélèvent des taxes auprès des orpailleurs. Il y a aussi le fait qu’ils utilisent leurs emprises à l’intérieur du parc pour lancer des attaques vers de nouvelles cibles. Dans le nord du parc, ils ont installé une série de bases qui relient à leur autre bastion, notamment dans la forêt Kodjoga Beli qui est à la frontière entre le Burkina Faso et le Niger, et de là jusqu’au nord du Burkina Faso. Il y a plusieurs bases qui sont installées dans la zone de la rive droite du fleuve Niger. Certaines de ces bases se rapprochent dangereusement de la capitale Niamey. C’est aussi le cas à l’Ouest où ils ont aussi fait des incursions jusqu’à la frontière avec le Togo, le Ghana, et au Sud, ils ont aussi fait des incursions dans le septentrion béninois jusqu’à la forêt des Trois rivières qui est presque au centre du Bénin.
Les trois pays ont agi. Il y a eu des réformes juridiques, renforcement des capacités des agents, des programmes de collaboration avec des locaux, des mesures contre l’extension des terres agricoles. Vous dites pourtant que ce n’est pas suffisant. Que faudrait-il faire de plus ?
Il faut reconnaître qu’il n’y a pas de solution miracle. L’action militaire est nécessaire. On pense que le coût humain et environnemental d’une action militaire risque d’être très élevé. L’action militaire pourrait se focaliser sur l’endiguement, en essayant d’empêcher les groupes d’étendre leur présence au-delà du parc. L’action militaire pourrait aussi s’accompagner de l’initiative de dialogue.
Des négociations avec des groupes qui combattent l’existence même de ces États, cela vous semble réaliste ?
Plus que réaliste. Ce sont des choses qui se passent actuellement et qui donnent des résultats. On se rappelle quand même qu’il y a eu une libération d’une otage américaine à la suite de négociations. Il y a aussi eu une certaine accalmie à la suite de certaines de ces discussions-là. Les trois pays devront s’attaquer au facteur des tensions sociales. Nous, nous pensons que les autorités pourraient par exemple envisager de déclassifier certaines parties des zones tampons du parc pour permettre aux éleveurs de faire paître leur bétail. On peut aussi permettre aux agriculteurs de cultiver dans certaines de ces zones-là.
Tout cela risque d’avoir un impact sur l’environnement ?
Bien sûr. Mais c’est quoi l’alternative ? L’alternative, c’est de ne pas absorber ces tensions et de ne pas pouvoir couper les liens. La lutte contre le terrorisme sera extrêmement difficile sans le soutien des populations locales. L’autre aspect, qui est extrêmement compliqué à mettre en œuvre, c’est de penser à long terme à une sédentarisation des éleveurs. Il faut commencer à l’envisager. Mais aussi, il faut penser à une réforme en profondeur de l’agriculture pour la rendre beaucoup plus productive sur des espaces plus limités.
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