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France : Au nom des athées en string.
samedi 21 décembre 2013, par
Source : http://www.isabelle-alonso.com/chacun-e-sa-case/
Source : http://www.isabelle-alonso.com/gonflees-a-blog/
Le 20 décembre 2013
by Isabelle Alonso
Je suis une femme et rien de ce qui concerne les femmes ne m’est étranger. Evident ? Pas pour tout le monde.
Unknown-5Rockaya Diallo et Morgane Merteuil ne sont pas de cet avis. Elles contestent le simple humanisme de cette assertion. Chaque femme devrait rester dans sa case, et ne parler que d’elle, si je comprends bien le sens du papier qu’elles ont signé ensemble, fin novembre, dans le Monde. L’article est intitulé « Un tournant réactionnaire et nationaliste« .
De quel « tournant réactionnaire et nationaliste » s’agit-il ? L’étrange duo, l’une en tant que musulmane et l’autre en tant que prostituée, prend la plume pour contester à celles qui ne sont ni l’un ni l’autre toute légitimité à intervenir dans les débats sur la prostitution et le voile.
Sachant qu’on peut être musulmane et pas prostituée, pas musulmane et prostituée, à la fois musulmane et prostituée ou ni musulmane ni prostituée, on peut se demander quel cheminement mental a pu occasionner la composition du curieux tandem qui a rédigé ce texte. C’est tout simple. Il s’agit, une fois de plus, une fois encore, quitte à allier deux éléments incongrus, de vilipender la féministe, ce repoussoir universel qu’il convient de contester pour tout et surtout pour rien.
Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas ciblé la bourgeoise, la blanche, la privilégiée qui se sent supérieure et qui, condescendante, arrogante, s’octroie le droit de décider pour les autres, les non-blanches, les prostituées, les musulmanes et de sauver malgré elles ces pauvresses qui ne leur ont rien demandé.
Bravo les filles ! Quel courage, Rockaya ! Quelle audace, Morgane ! Il en faut pour ainsi dénicher la responsable, pourfendre la coupable, dénoncer la complice ! Au fait, vous autres qui avez accès aux colonnes du Monde, aux micros et aux caméras, à quel titre prenez vous position au nom de ces femmes pauvres dont la caractérisque première, en plus de la misère et la précarité, est d’être réduites au silence, à l’éternel et assourdissant silence des damné-e-s de la terre ?
Je le dis tout net, je me suis sentie visée par votre prose. En tant que femme féministe à peu près blanche, non musulmane et non voilée, je l’ai pris perso.
Où suis-je donc allée chercher le droit de me considérer personnellement impliquée par le port du voile ou l’exercice de la prostitution, au point d’émettre une opinion sur les sujets, alors que je me balade cheveux au vent même quand il pleut et que je baise gratis pour peu qu’on m’invite à dîner ( naan je déconne, attention, humour, en fait une coupette suffit !). Une privilégiée capillaire et une free du frifri qui se prend à avoir une opinion sur ce qu’elle ne pratique pas, c’est tout moi. Non mais de quoi je me mêle ! C’est vrai kouâ, merdre !
A ceux et celles qui voudraient m’accabler davantage, je précise que j’ai aussi, entre autres, un avis sur la pêche en eau profonde, alors que je n’ai jamais mis les pieds sur un chalutier, sur le maïs transgénique alors que je n’aime pas le popcorn et même sur les Jeux Olympiques alors que mon record personnel du cent mètres me ferait battre à plate couture par Usain Bolt en tongues, à cloche pied, à reculons et porteur d’un plateau de fruits de mer avec sa seule main gauche.
Le niveau de conscience politique a sombré dans les méandres du tout-psychologique, des communautarismes, de l’à-peu-près et du prêt-à-penser, et on accorde plus d’importance à la source du message qu’au message lui même. Meilleur moyen de s’agiter sans que jamais rien ne bouge.
Je confirme donc, puisque ça a l’air nécessaire, que toutes les religions, (y compris l’Islam, n’en déplaise à Rockaya), oppriment les femmes. Que le port du voile est une brimade inventée non pas par un Dieu dont je conteste l’existence mais par les humains de sexe mâle qui se croient autorisés à parler en son nom et ont décidé que la chevelure féminine est une tentation permanente devant être censurée. Ces autorités religieuses masculines se soucient comme d’une guigne des droits des femmes et les instrumentalisent pour mesurer leur présence dans l’espace public. Le Pape, les rabbins, les créationnistes et autres fous de Dieu ne font pas mieux ? Vous me l’ôtez de la bouche. On ne saurait contester la foi, intime et propre à chacun-e. Mais je pourfends allègrement les pouvoirs religieux quels qu’ils soient. Ils sont, toujours, sans exception, violemment misogynes.
Je confirme que la prostitution est une forme de viol. Elle est une colonne du temple patriarcal. Elle organise l’accès au sexe des femmes par le biais de l’argent, alors que l’accès à l’argent est intégralement contrôlé par le pouvoir masculin (relayé par des mères maquerelles ? oui.). Et elle se perpétue au moyen de la violence sous toutes ses formes. Aménager la prostitution, c’est refaire la déco sans toucher aux murs porteurs. C’est jouer les Valérie Damidot de la poutre maîtresse. C’est colorier l’abjection. Le patriarcat n’a pas à être aménagé. Il doit disparaître. Oeuvrons toutes et tous à son écroulement, par tous les moyens. A coups de bull-dozer, de pelleteuse, de masse, de stylo, de clavier, de parole, de chanson et dans la joie des vraies révolutions !
Je confirme qu’en tant que femme je me sens violentée par l’existence même de ces barbaries quand bien même elles ne s’exercent pas directement sur moi. Et je me sens solidaire par chaque fibre de mon être avec toutes les femmes atteintes personnellement.
Je confirme que non musulmane et non prostituée, je rejette TOUT ce qui m’enferme, réellement ou symboliquement, dans un statut de dominée que je n’ai pas choisi et qui me pèse à chaque instant.
Il y a d’autres violences, d’autres injustices, innombrables et quotidiennes ? OUI. Et je les récuse tout pareillement. Et depuis des années.
Que Rockaya et Morgane veuillent bien me fournir la liste des sujets sur lesquelles ma parole serait légitime car issue d’une pratique personnelle et d’une expérience concluante.
Et tant qu’elles y sont, qu’elles participent à l’élaboration des épreuves d’obtention d’un CAP de la pensée, Certificat d’Aptitude Personnelle à ouvrir sa gueule, ramener sa fraise et émettre une opinion. Elles pourraient faire partie du jury, ça a l’air de cadrer avec leur vision de la démocratie. Et m’assigner à ne m’exprimer qu’au nom des athées en string ?
Pas sûr que Marx, qui osa analyser la condition ouvrière sans aller racler le fond d’une mine, serait reçu. Il faisait de la politique et ça, par les temps qui courent, c’est dépassé, on dirait.