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Serbie : le Sandžak de Novi Pazar, nouveau « baril de poudre » des Balkans ?
jeudi 2 juillet 2015, par
31.07.2010
Safeta Biševac
Source du texte : LE COURRIER DES BALKANS
Serbie : le Sandžak de Novi Pazar, nouveau « baril de poudre » des Balkans ?
Depuis quelques mois, le Sandžak fait à nouveau la une des médias. Cette région du Sud de la Serbie va-t-elle devenir un « nouveau Kosovo » ? Aucune volonté sécessionniste ne s’y est pourtant manifestée, mais les Bosniaques se montrent de plus en plus sensibles au discours du contesté mufti Zukorlic, alors que Belgrade joue, encore une fois, la carte des divisions et des manipulations au sein de cette communauté. L’analyse de Danas.
Il ne se passe pas une semaine depuis quelques mois sans que ma terre natale du Sandžak ne soit évoquée dans les médias. Jusque quand cela va-t-il durer ? Où est donc passé le « bon vieux temps », quand je devais expliquer aux Belgradois où se trouvait Novi Pazar ? Ces dernières semaines, le Sandžak de Novi Pazar a encore fait la « une » des journaux : visite du Premier ministre turc Erdogan, puis affrontements entre sympathisants de Muamer Zukorlic et ceux du camp adverse d’Adem Zilkic, meeting des partisans du mufti Zukorlic…
De nouveau, s’impose la thèse que le Sandžak représenterait un foyer de crise où, Dieu nous en garde, la situation du Kosovo pourrait se produire. Je n’ai jamais été d’accord avec ces thèses, pour la simple raison qu’il n’y a pas de séparatisme au Sandžak : aucun parti politique, aucune association bosniaque ne revendique la sécession, pas même le muftti Zukorlic, si détesté aujourd’hui en Serbie. Pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine, la paix a toujours été préservée au Sandžak, à l’exception de quelques cas tragiques, comme les enlèvements et les meurtres de Bosniaques à Sjeverina et Strpci ou les attaques de formations armées serbes dans certains villages frontaliers. Les motifs et les commanditaires de ces crimes étaient extérieurs à la région.
Lors du fameux 17 mars 2004, quand les églises au Kosovo et les mosquées à Belgrade et à Niš ont été incendiées, la paix régnait à Novi Pazar. Il n’aurait pourtant été pas difficile d’attaquer les monastères orthodoxes de Ðurdevi stupovi ou de Sopocani. Pourquoi donc des tensions surviennent-elles aujourd’hui ? Il semble que cela convienne à beaucoup de gens à Novi Pazar, mais aussi à Belgrade - ce qui est encore plus dangereux.
Le Sandžak et les Bosniaques du Sandžak ont toujours représenté une cible idéale pour toutes les manipulations. Ils en sont en partie responsables, mais cela convient aussi à beaucoup de monde à Belgrade, selon le vieux principe « diviser pour mieux régner ». Nous avons d’abord assisté au conflit entre les dirigeants politiques rivaux Sulejman Ugljanin et Rasim Ljajic, puis à la formation de deux communautés islamiques dont l’une, celle d’Adem Zilkic, est à l’évidence favorisée par les autorités de Belgrade qui essaient de l’imposer aux musulmans de la région. Bientôt, les Bosniaques pourraient aussi disposer de deux conseils nationaux rivaux : celui de Muamer Zukorlic, que l’État ne reconnaît pas et qui est critiqué par les autorités, et celui qui sera probablement dirigé par le ministre sans portefeuille Sulejman Ugljanin, qui ne manque bien sûr pas une occasion de flatter le pouvoir. Et le pouvoir le lui rend bien.
Dans un pays comme la Serbie où les problèmes sont multiples, un « foyer de crise » comme le Sandžak est toujours le bienvenu. Pourquoi nous soucier d’une économie détruite, de la pauvreté, de la corruption, etc, alors que nous avons devant nous un nouveau foyer de crise - où, par chance, la majorité de la population appartient à un peuple et à une religion minoritaire, ce qui nous donne une nouvelle opportunité d’attiser la haine ?
Le Sandžak, révélateur de la situation en Serbie
Bien sûr, certains habitants du Sandžak savent très bien rendre les coups. Le Sandžak a ses spécificités mais, par bien des aspects, il est l’exemple-type de tout ce qui se passe en Serbie. Comme ailleurs dans le pays, le Sandžak est déçu par les résultats des changements politiques. Pendant des années les Bosniaques ont voté pour les forces démocratiques. Il y a deux ans, le Parti démocratique (DS) et Boris Tadic ont remporté les élections grâce à leurs voix - la Serbie était alors, comme aujourd’hui, un État laïc et Muamer Zukorlic était déjà mufti, mais le parti du Président de la République n’a pas été dégoûté par son soutien.
Les partisans de Sulejman Ugljanin et deux de Rasim Ljajic se sont succédés à la tête de la mairie de Novi Pazar, mais les citoyens n’ont remarqué aucune amélioration. Au contraire, il y a de moins en moins d’argent et de travail et, dès que la chaleur pointe son nez, la moitié de la ville est privée d’eau. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que de nombreux Bosniaques se soient tournés vers la politique et la rhétorique du mufti Zukorlic, qui n’est pas le produit d’un « extrémisme » bosniaque, mais celui des résultats désastreux et des erreurs, commises avant tout par les partis bosniaques, mais aussi par les autorités de la République qui, en dehors de Belgrade et Novi Sad, ne voient pas la Serbie.
En ce qui concerne les élections du conseil national de la minorité bosniaque, le ministère des Droits de la Personne et des minorités a fait de nombreux gestes absurdes et, semble-t-il, illégaux, qui n’ont fait que nuire et créer la confusion.
Si la Communauté culturelle bosniaque, la liste menée par Muamer Zukorlic, a remporté le plus de voix, et c’est un fait, si elle s’est assurés la majorité, ce qui est aussi le cas, pourquoi le ministère ne reconnaît-il pas le conseil qu’elle a formé ? Parce que cela ne plait pas aux deux ministres bosniaques du gouvernement de Serbie ? Ces ministres, Rasim Ljajic et Sulejman Ugljanin, auraient-il un droit de propriété sur les votes bosniaques ? Pourquoi donc a-t-on fait, dans ce cas des élections ? J’ai moi aussi des reproches à faire à Muamer Zukorlic, mais il vaut toujours mieux faire pénétrer quelqu’un qui a une influence politique importante - et le mufti en a sans aucun doute - dans les institutions du système que de le tenir à l’écart.
De toute façon, le conseil s’occupe de la culture, les Bosniaques verront donc en pratique si le mufti sait travailler utilement ou s’il ne fait que parler. Pour ceux qui doutent de l’efficacité d’intégrer les institutions, je rappelle que Sulejman Ugljanin et Rasim Ljajic étaient « séparatistes » dans les années 1990. Sulejman Ugljanin, dans un procès monté, avait aussi été accusé de terrorisme, de menacer l’intégrité territoriale de la Serbie et de tentative de former un « État du Sandžak ». Aujourd’hui, ils ne sont plus séparatistes, mais ministres du gouvernement de Serbie.
La position autiste du pouvoir a provoqué la radicalisation des milieux proches du mufti Zukorlic, de sorte que nous avons fini par avoir droit à une « Déclaration » qui demande des négociations sur le statut du Sandžak, celui des Bosniaques, l’obtention du titre de peuple constitutif et d’autres choses encore. J’ai toujours été contre ces revendications aussi pompeuses et irréalistes, car je préfère plutôt m’engager pour le respect de la Loi et de la Constitution. En tant que membre des peuples et religions minoritaires, l’explication du ministère des Droits de la Personne et des minorités selon laquelle j’appartiens à une communauté nationale « spécifique » et se demandant ouvertement qui a besoin du statut de peuple constitutif m’a cependant bien fait sourire... Veillons à ne pas prendre la constitutionnalité par dessus la jambe.
Belgrade devrait reconnaître son erreur concernant des élections du conseil national de la minorité bosniaque, renoncer à se mêler des affaires de la Communauté islamique, essayer de réduire les dommages collatéraux, et ne pas se tourner vers Ankara.
C’est le pouvoir serbe qui a concocté ce cocktail aujourd’hui explosif. Aucune tension ne convient ni aux Bosniaques ni à l’État, surtout pas la reprise d’une politique semblable à celle menée par Belgrade au Kosovo au tournant des années 1980 et 1990. Quant au mufti Zukorlic, il devrait prendre conscience qu’il n’est ni « Dieu ni maître », et essayer de calmer les esprits.
Y a-t-il à Belgrade et à Novi Pazar des gens prêts à se mobiliser pour cela ? On ne peut l’affirmer d’après les déclarations actuelles. Il existe cependant des gens sages en Serbie.